27.6.02

Salut la compagnie. J'écris pour énumérer brièvement ce sur quoi je n'écrirai pas maintenant, et pourquoi. Je n'ai pas fermé l'oeil depuis cinquante heures, voilà pourquoi. Lessivé, je n'écris pas plus de conneries que d'habitude, mais je les écris moins bien. Alors à plus tard, hein? Je causerai de la soirée d'hier au Ludik, de la fusquigécoraïque performance de Kevin Vigneau, poète, dont c'était le baptême du micro, sacrifiant sa cerise littéraire sur une scène de 2 mètres carré avec la noblesse et l'aplomb et le magnétisme effronté d'un ange chauve et chic. Il y aura quelque chose sur Justine, ce sujet délicat, sa robe de lin blanc et ses baisers pudiques émouvants à frémir. Et cetera et cetera et que sera sera. Et de Kevin encore, qui m'informe quelque part là-dedans du coup de fil d'Annie, reçu mardi de la semaine dernière. «J'ai pas eu le temps de t'en parler avant...», qu'il commence à avancer en guise d'explication, penaud, pas convaincu, puis renonçant à mi-phrase et attendant bravement l'explosion.



Sauf que c'est si gros, si hénaurme, si démesurément atypique, que j'éclate d'un rire falstaffien à en faire choir les guitares collées au plafond du Bistro à Jojo. Ce damné Madelinot, si parfait toujours, à s'aliéner les mortels ordinaires, venait tout de même de faire une boulette. Ironiquement, l'imperfection même qui le rendait plus humain ajoutait à son charisme zen. «Elle avait l'air de dire qu'il valait mieux vous séparer, des trucs comme ça. J'ai pas bien saisi, j'étais pas mal chaud...»



«J'espère qu'elle attendait pas de réponse?», je dis, goguenard. Il me dévisage un instant, puis éclate de rire à son tour. C'est pas drôle, mais qu'est-ce que vous voulez, ça fait du bien.



Bon, c'est pas tout ça, mon barbier m'attend pour ma coupe annuelle.



25.6.02

Retournement de fortune, dans le bon sens pour une fois. Les sous cinéma se sont posés comme une fleur dans ma boîte aux lettres. Enfin, pas précisément, parce que l'adresse était tant soit peu erronée, mais heureusement, mon facteur est aussi un fervent lecteur; il prend sa retraite à la fin de l'année et il va me manquer.



Mario compare ma vie à celle de Monsieur Magoo: chaque fois que je vais chuter dans le vide, une planche de salut se présente. De fait, j'étais à ça d'être débranché partout. Meilleure chance la prochaine fois, mauvais sort.



Mario vient chercher un peu de café et m'apporte un peu de tabac. Ce sacré vieux communiste et moi jetons les bases d'une nouvelle/ancienne économie: le troc solidaire.
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Hier, Éric arrive, gelé dur en dépit de l'extrême chaleur, sa selle de bécane à la main. D'ordinaire, sa tolérance au THC est si forte qu'il faut l'observer de près pour se douter qu'il a fumé, mais là, ses yeux sont des braises enfoncées dans leurs orbites et sa voix a baissé d'un octave. Je lui demande comment ça se fait. Il m'explique que, depuis qu'il s'est trouvé une bicyclette, il arrête chez tous ses copains entre l'appartement de sa blonde et le sien, le temps de tirer un petit joint. En bout de journée, ça finit par compter.



Sa guignolée personnelle, en quelque sorte. Vieux rituel convivial canadien-français remis au goût du jour. Quand il repart, il oublie sa selle et doit remonter la chercher.
Je constate avec plaisir qu'Annie a repris son Journal, cette fois sous la forme d'un blog plus traditionnel. En en étudiant la source, j'ai appris à surligner. En matière de codes et de bidouillage, Script a toujours une longueur d'avance.
Courriel de ma vieille Marie-Claude, aujourd'hui mariée en Belgique: «Je ne sais pas si tu reçois tes relevés de la Socan à la maison, si oui, tu devrais vérifier que tu as bien été payé par la Sabam sur ton Q2 2002 pour ta chanson Soirs de Scotch. Hier soir, ils ont fait un gros concert pour célébrer la St-Jean sur la Grand-Place à Bruxelles et dans leur medley, ils ont utilisé environ 40-45 sec. de ta chanson.»



Voilà que par ma faute, nous passons pour des soûlons à l'étranger!

24.6.02

Ça y est. Selon le Washington Post, le FBI a commencé à visiter les bibliothèques publiques, réclamant et obtenant la liste des livres empruntés par certains citoyens en vertu du Patriot Act. La semaine dernière, le jour même de l'arrestation d'un Musulman à Montréal, on pouvait voir et entendre aux nouvelles de cinq heures le zouf employé au club vidéo du coin énumérer les locations de cassettes du suspect.
Mario venait juste d'apprendre la démission de Stanley Péan de La Presse après qu'on eut refusé de publier son papier sur Denise Bombardier. «Je savais qu'elle était pesante, dit-il, référant à ces posters chez Renaud-Bray où on la voit en pyjama, mais c'est tout de même pas un auteur majeur!»



«N'en sois pas si sûr», réponds-je en déployant le doigt du milieu.



«Et Péan, dans tout ça? Qu'est-ce que t'en penses?»



«Ma foi, pas grand chose. Il y a quelques années, incarcéré à Bordeaux, le Bordeaux qui flanque la Rivière-des-Prairies, j'ai bénéficié d'une libération d'après-midi et je suis tombé sur lui dans le métro. «T'es pas supposé être en prison?» qu'il m'a dit, une pointe de déception dans la voix. Alors, Péan, tu comprends, depuis ce temps, c'est un peu mon négatif. Je veux dire: t'as été journaliste, tu sais comment ça marche. La rédaction a tout loisir de publier ou non. Qu'il fasse sa crise si ça lui chante, mais je partirai pas en guerre contre La Presse pour ça, et personne d'autre ne le fera.»



«Ton négatif?»



«Ouais. C'est drôle, hein?»



«Dans quel sens, négatif?»



«Dans tous les sens.»



«Alors oui, c'est tordant.»



Il y a quelque temps, j'ai accepté la pressante invitation d'Éric Roger à participer à sa mensuelle soirée Solovox, celle de ce 26 juin, au café Ludik. Pour l'occasion, j'ai exhumé quelques poèmes de jeunesse, en fait toute une pile, en fait un recueil entier, inédit. Fange et furie. Chaque fois que je les relis, je suis partagé entre la gêne et l'émotion. La plupart remontent à l'époque de Vamp: théoriquement, ils ne devraient pas être aussi mauvais qu'ils m'en ont l'air. Quoi qu'il en soit, je vais en roder quelques-uns mercredi soir, après quoi on verra bien s'il convient d'en faire quelque chose. Kevin doit également faire ses débuts sur scène, mais j'ignore toujours s'il y sera.
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JF et Denis voulaient venir finir une bouteille de rhum, mais le courriel s'est égaré en chemin. C'est aussi bien. Plus de rhum pour moi. À seize ans, je suis tombé du deuxième étage sur le crâne au cours d'une cuite au Captain Morgan. Si je n'avais été si soûl, je serais mort assurément. Sauf que je ne serais pas tombé.



À Radio-Canada, on diffuse des entrevues avec des fêtards de la Saint-Jean. Ils choisissent les plus débiles. Enfin, j'espère. Parce que si c'est les moins pires, y a de quoi déménager à Saskatoon.

23.6.02

Kevin sort d'ici à l'instant. Vêtu d'un t-shirt emprunté, sa chemise laissée dans une autre bagarre. Skinhead et débarbé. On a causé. Causé des causes, des conséquences. On s'est souri, serré la main. Il a lu une semaine de Journal, puis je l'ai envoyé dormir, car il se lève à six heures demain pour remplir un contrat de peinture. Il est reparti avec ses films. Rasséréné.
Kevin, mon chevalier rouge, vient d'appeler de Saint-Hyacinthe. Fort chaud, tout frère. Je n'ai jamais douté que nous surmonterions l'escarmouche. Maintenant, j'en suis tout à fait sûr.
Si on me demande, dites que je suis flambant nu entre deux ventilateurs, à lire The Bourne identity de Robert Ludlum tout en regardant du coin de l'oeil une version expurgée de la vie de Catherine de Russie.
Noël des campeurs ou cadeau de la Saint-Jean, appelez ça comme vous voulez, ce matin je vous offre Boîte à bijoux, une chanson inédite téléchargeable en format mp3. La musique est de JF Moran et Denis Coulombe, l'interprétation de Karine Lecault, qui la défend en ce moment même au festival international de la chanson de Granby.

22.6.02

Pâté chinois pour petit déjeûner. Ça fait un bon fond. Toujours révolté par ce qu'elle m'a écrit. J'attends patiemment que mon dégoût reflue.
Coup de fil de don José (Acquelin) autorisant l'usage de son texte avec enthousiasme.



J'apprends que je fais désormais partie du comité liberté d'expression de l'UNEQ. D'autre part, ils réclament une photo de moi en position d'écrire pour un diaporama en l'honneur de leurs 25 ans. Trouver une idée drôle.

21.6.02

Justine me chicane parce que j'ai séché deux jours (elle savait pas, pour la souris). Moi je songe à l'incendie de ses cheveux l'opulence dont elle comble le denim de ses robes et je me fais plaisir.



Justine loves to make a man horny

it makes her feel juicy


(Anonyme)
Reçu de Bertrand Laverdure: un exemplaire frais imprimé de Les chants de l'aube de Lady Day, par Danièle Robert, préface de Stanley Péan, publié chez Triptyque. Une splendeur de contenant! Le contenu, je ne l'ai pas absorbé encore, faut que je finisse mon roman de Star Trek.



Les folles sont si foutrement sexy! Le problème, avec les folles, c'est qu'elles ne savent pas qu'elles le sont. Elles s'en doutent, je pense, et ça les rend méchantes, mais autrement, c'est du bonbon.



J'en ai connu une, récemment, elle avait lu tous mes romans, mais du diable si elle ne s'indignait pas de me voir boire! Cette grotesque et virulente sangsue se figurait que mes livres s'écrivent tout seuls, et que le temps que je passe à m'enivrer tout en contemplant le plafond et en réfléchissant est du temps perdu. Perdu pour elle, s'entend.



Le comble, c'est que l'inénarrable cruche, cachée planquée creux sous trois épaisses couches de pseudonymes, craint toujours qu'on la reconnaisse. Encore faudrait-il qu'elle fût connue! Truman disait finement: «If you can't stand the heat, get out of the kitchen!», quand il ne disait pas «If you can't shit, get off the pot!»



Dangereuses, ces biches-là. «Fais-moi confiance! Quand vas-tu enfin me faire confiance?»



Hmmmph!
Ça parle au diable: de nouvelles fleurettes rouges ont surgi du pot d'Annie. Ça s'arrose, bordel.
Beaucoup de viande mise à bronzer sur l'étal vert autour du bassin du Parc Lafontaine. Quelqu'un travaille-t-il encore dans cette ville indolente et flemmarde? C'est beau à voir, je vous raconte pas, les forces vives de la nation, les masses laborieuses qui s'enduisent de lotion solaire.



Hey, I'm back!



Un aspect parmi cent de la curieuse nature des femmes: elles s'imaginent devoir passer avant la littérature. Même celles qui s'échinent à écrire avec toute l'émouvante (m)aigreur de leurs moyens, la face figée en un rictus de revanche; c'est tout dire.



Vous là-bas dans l'ombre, et vous ici, dans la lumière des premières rangées, je vous aime bien, vous savez...



Bon, trève de larmoieries; faut que je sorte acheter des tubes à cigarettes.
La Bibliothèque Centrale expose les cahiers de José Acquelin, de véritables objets d'art. J'y ai découvert un texte d'une époustouflante lucidité que je place dès maintenant en exergue d'Origines.
Deux jours d'absence forcée. Vous êtes toujours là? Ma souris m'a lâché. Celle en plastique et caoutchouc. Mais tout est arrangé, mon cousin JF Moran m'en a offert une autre et je remonte en selle tranquillement pas vite. Le temps de descendre une quille ou deux et je reviens en pleine forme!



En attendant, j'ai écrit des paroles pour JF, un texte sans refrain disponible sur Chansons.



19.6.02

Y a des gens, je vous jure, la liberté les fait râler (surtout la mienne).



Hier, quelqu'un que je ne nommerai pas (vu que je ne peux parler de rien ni personne) me demande de rester. À regret, j'explique que j'ai des choses à faire au Bunker. «Dans ce cas, SORS DE MA VIE!» hurle quelqu'un.



Ciel d'Afrique et pattes de gazelle! Quelle bonne occasion de réintégrer la mienne, pensé-je.



Sur le chemin du retour, une théorie de bagnoles klaxonnantes hérissées de drapeaux brésiliens applaudissait le nouvel état de choses. Au fait, quelqu'un connaît-il le résultat du match contre la Belgique?

18.6.02

Bon, ben, pas moyen de rapporter ces satanés films! Annie a appelé tous les clubs de la ville pour découvrir d'où ils venaient, sans succès.



Là, je l'accompagne à la bibliothèque pour effectuer son inscription. Une île, une ville. J'ai presque envie de pousser vers l'ouest, histoire de tâter de quelques public libraries westmountaises.
Étreinte matinale rapide et sweet. Sorti acheter du lait: deux hassidim venant de directions opposées se pressaient pour arriver à l'heure à la synagogue: le premier a fermé la porte au visage du second. J'ai eu l'impression qu'il lui jouait un tour.



Hier, on a beaucoup jasé du roman en chantier d'Annie, et tout marche rondement, mais je ne peux en piper mot. Je ne peux parler de rien ni personne.

17.6.02

Vais rapporter les films de K au club vidéo, histoire de lui donner un coup de main et d'éviter que ça ne lui coûte le bras dont il aura besoin pour vilbrequiner les trous de vis dans les portes d'armoires qui doivent recevoir les boutons gris que sa grand-mère m'a offerts.
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Le film continue. J'ai renouvelé mon alliance avec la production. Je reviens sous la pluie (encore) et Annie nous touille des pâtes à la pâte de tomates. Elle regarde Eyes wide shut, sage et douce et paisible, tandis que j'admire ses jambes à travers une jupe hippie de coton mince. Let the sun shine in!
Annie m'a rendu responsable d'un peu plus de vie et de beauté: un héliotrope, un bégonia, des pensées plus un peu de verveine, tous plantés dans un gros pot. J'espère me montrer à la hauteur.



Ce matin, rencontre avec les producteurs de mon scénario. Annie me lit des bouts de Julien Vago. Moi, j'essaie de lire mon avenir dans le vol des goélands à ma croisée ouverte.

16.6.02

Soirée d'hier chez Annie, super souper, J-C était de la fête. Aujourd'hui, on rentre sous la pluie et on se fait sécher en regardant un film de gars bien sanglant et chaotique.

15.6.02

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Avec Kevin, on s'est descendu une bouteille de Havana Club en regardant Les raisins de la colère, puis on a commencé à se taper dans la gueule.



Annie est venue m'aider à retrouver mes lunettes et à éponger l'hémoglobine de Madelinot. De la grosse rouge qui tache. J'espère qu'il va bien. En tous cas, j'aurai appris qu'il possède un sacré punch (au rhum).



Tu parles d'un contrat de peinture! Peut-être le perroquet d'hier préfigurait-il ce party de pirates. Yo ho ho et une bouteille de rhum!

14.6.02

Hier, faisant la file à L'Échange de la rue Saint-Denis pour recevoir paiement des livres sacrifiés, je tombe face à face avec Éric Drouin, une cassette de Peter Gabriel à la main. Les yeux dans les yeux, trois longues secondes avant que sa face ne se fende d'un grand sourire. «Je viens d'en fumer un gros, dit-il. C'est pas moi qui te reconnais pas, c'est mon corps!»
Ajouté deux courts chapitres à Origines. L'un traite de clarté d'esprit, l'autre de transgression, et le plus drôle est qu'ils ne figureront pas à cet endroit dans le livre.
En pleine rue Rachel, je viens juste de croiser un bonhomme avec un perroquet vivant juché sur l'épaule, une grosse bête d'au moins trois kilos. La classe!
Mario passe travailler un peu sur ses sites. Il admire le vilbrequin de Kevin, une vieille chose déchue rachetée chez un chineur, de préférence à une perceuse, en hommage à son aïeul qui lui en apprit l'usage. C'était à l'époque où il bâtissait leur nid, à Catherine et à lui.
Aveuglé par le Voir (mauvaise idée de se frotter les yeux après lecture de ce canard-là).



Kevin venu hier pour me préparer un succulent souper et veiller un peu avec/sur moi. On a lu un article à mon propos du professeur Émile J. Talbot de l'Université de l'Illinois à Urbana-Champaign. Satisfaisant. Sauf le bout qui parle de Vamp, «bien accueilli par les critiques, même par ceux qui se disaient rebutés par la personne de l'auteur.» Quand je pense à tout ce avec quoi j'ai couché au début de ma carrière pour lancer la machine, toutes ces relations publiques privées, comme une starlette sur le sofa, toutes ces critiques que j'ai bien accueillies, même celles qui me rebutaient... Quand j'y pense, je me dis que ça valait la peine et la tétracycline.



K commence un contrat de peinture aujourd'hui. Quand il est parti, vers 22 heures, la lune s'est encadrée dans ma fenêtre, croissant froid juste pour moi.

13.6.02

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Enfin, il n'est pas inconcevable que [l'état de gr] la grâce, ce fuyant état propre à la vingtaine, ne reviendra jamais que par bouffées intermittentes séparées les unes des autres par des intervalles de plus en plus longs, et que je me sois, en quelque sorte, volé à moi-même mes meilleures années. Cette idée ne laisse pas d'être profondément déconcertante.



page manuscrite de yours truly, gentiment numérisée par son fils. Putain, j'espère qu'il l'a lue en passant.
Traversé le Parc Lafontaine: le lilas commence à puer sérieux.



Au chapitre des choses littéraires, rien à dire aujourd'hui, sinon que les billets d'opéra font d'excellents signets.
Regret, rancune ou nostalgie,

L'amour est une odontalgie.
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En tout cas, ne laissez personne vous dire que L'Elisir d'Amore est une comédie. Pour nous autres, tout au moins, ça s'est fini en drame.



Autre ordre d'idée (peut-être, peut-être pas): que pensez-vous d'un gars qui, sans le savoir, arrose son jardin et se mixe des martinis avec de l'eau mêlée de nitro-glycérine?



12.6.02

Fait l'amour comme on exerce un magistère. Les soupirs de ma douce tout parfumés de miel. Dormi comme une masse.



Ce soir, a night at the opera: on va voir et entendre Elisir d'Amore.

11.6.02

Kevin, lisant le dialogue ci-haut, rectifie: «Je sais que j'ai dit Les yeux grands ouverts au téléphone, au lieu de Les yeux grands fermés. Je le sais. Quand je pétarade, je pétarade, tu peux l'écrire, ça me dérange pas, mais quand je fais pas exprès pour me tromper, bon, c'est pas pareil, par exemple je dirais pas Les raisons de la colère, parce que je sais que j'ai raison quand j'ai tort de me tromper, tu comprends bien que loin de moi l'idée d'intervenir, mais quand même, faut être logique!»



Il médite un peu, se recueille, me fout un (fraternel) coup de pied sur le tibia: «Ben dis donc, j'ai l'impression que je viens de me passer un sapin...»
Kevin trouvait que quelque chose clochait dans le Bunker, sans trop pouvoir préciser quoi. On a cherché, cherché. Finalement, c'était le plancher. Propre.



Chez nous, le plancher colle, d'habitude, et il est terne, et on s'englue les pieds dessus. C'est à cause du style. Le style, il me pisse des doigts.
Reconduisant Annie à sa voiture, croisé une voisine dans la rue: «Bonjour, monsieur l'écrivain! Dites, j'ai besoin d'un conseil. Voilà: j'ai écrit un recueil de poésie que Stanké veut publier, et j'aimerais que nous prenions une demi-heure pour que vous me disiez ce que vous en pensez...»



Lui dis que je ne fais plus ça, pour personne. «Au moins, c'est franc!» lance-t-elle en tournant les talons.



-Attendez! Je vais vous expliquer pourquoi.»



S'arrête, se retourne, fixe le trottoir.



-Vous comprenez, je n'ai rien à y gagner et tout à y perdre. Si j'aime pas ça, je suis tenu de le dire et je perds un ami. Si c'est très bon, je l'ai dans le cul parce que je suis jaloux et que ça m'empêche d'écrire pour le reste de la semaine. Vous comprenez?



Ses yeux, adoucis. «Au moins, c'est franc...»



Et elle continue sa route vers le dépanneur, et je rentre au Bunker, une petite pince sur le coeur.



Mon Kevin qui appelle: «J'ai loué trois films! Tu veux les voir?»



-Sûr! C'est quoi?



-Ben, j'ai celui avec Polanski et Depardieu, c'est l'histoire d'un écrivain qui...



-Ouais, il meurt.



-Il meurt?



-Ben oui, quoi, il est mort.



-Parce qu'il se suicide?



-Il me semble. Tu sais, c'est comme L'auberge des morts subites, la pièce de Félix Leclerc. Ou Huis-Clos. Le gars est mort et il l'ignore.



-Ah ben, ça parle au diable!



-Précisément. Enfin, ça dépend du point de vue.



-Je confesse que j'avais pas vu ça.



-Tu t'es endormi dessus.



-Même pas! J'ai aussi loué Reservoir Dogs!



-Ah! Là, c'est mêlant. Reservoir Dogs. Quand les gars s'entretirent, en triangle, il me semble qu'il manque une balle. J'ai jamais compris. J'ai eu beau rewinder, faire Pause, je pige pas.



-Tu piges pas quoi?



-Qu'il manque une balle.



-Il manque une balle?



-Me semble.



-J'ai pas vu ça.



-C'est quoi, l'autre film?



-C'est Les yeux grands ouverts.



-Eyes wide shut, de Kubrick?



-Yep!



-T'as fait exprès, ou quoi?



-Non. Exprès de quoi faire?



-Putain, c'est un autre film incompréhensible, il est même célèbre pour ça. Les trois que t'as loués, c'est ceux qui me rentrent pas dans la tête. Ceux-là et tous les James Bond.



-Bon, alors, je les apporte? Et puis le vilbrequin pour tes poignées de portes, j'y ai pensé, l'est dans mon sac...
Ma blonde me trouve trop smooth avec le monde (à l'envers!).
Ça vous excite, le fouteballe?



Les nerfs!



Ah, elle est jolie, l'Europe unie. Nostalgie de guéguerre et d'irrigation du colon Africain. Une grosse Mancelle braille et cinq Danois triomphants se fichent malpoliment d'elle. L'Amérique Latine se lamente, et c'est pas sur les forêts d'Amazonie...



Vous nous faites chier! Vous méritez pas le nom d'Hommes! Fouteballe, merde, gang de cons, gang de caves, gang de gangs!



Suckers...
Le concierge fait la tournée du building pour découvrir ce qui a bien pu se passer vendredi soir. Sacré mystère!



Annie a tout lavé le plancher, elle dit que ça lui fait du bien de travailler plus du corps et moins de la tête, moi je dis qu'elle est équilibrée. On ne l'avait encore jamais accusée de ça.
Aujourd'hui, Memory Babe se plante pire que jamais. Memory Babe, c'est le sobriquet de mon ordinateur, en hommage à Jack Kerouac, qui en était affublé étant petit. Les Français ont traduit ça par môme mémoire. Paraît que Ti-Jean K. se souvenait de tout. Je connais. Ça porte à boire. Mais je digresse, là: donc, mon ordi crashe pire qu'un coucou de l'American Airlines et je ne suis pas loin de croire que les choses iraient plus rondement si je tapais mon Journal sur ma vieille Underwood avec du papier carbone avant de vous le livrer à pied à domicile.

10.6.02

J'ai une sorte de boulette de viande qui me sort derrière l'épaule droite depuis un ou deux ans ou peut-être trois. Une partie du méchant dans mon corps qui s'exprime. Kevin préconise de la brûler à l'alcool isopropylique 70%, vous vous rendez compte? J'endors le méchant du dedans au tord-boyaux et, dès qu'il me fuit, qu'est-ce que je fais? Je le rattrape et je le finis à l'alcool à friction.
Faudrait finir par parler des vrais problèmes. Comment se fait-il qu'on puisse envoyer une sonde sur Mars et qu'on n'ait toujours pas inventé un ventilateur muni d'un câble d'alimentation de plus d'un mètre de long? Après ça, comment se surprendre que je sois un tantinet casanier? Qu'on aère cette insulaire cité-fournaise ou qu'on ne me cherche plus dans ses rues!



Kevin dort dans la chambre d'amis, angélique sous la moustiquaire. Annie engraisse la matinée, repoussant le moment d'écrire ce qu'elle appelle sa page de trivialités (lire: ce qui s'est vraiment passé).

9.6.02

Là, on vient de passer deux heures à essayer de se dérider, sans succès. On a convié Coluche, Desproges, Lemire, Rock et Belles Oreilles, Yvon Deschamps et Robin Williams, du petit calibre au gros canon, nommez-le, on l'a écouté. Et puis rien. On n'a pas pouffé. Le rire nous est resté dans la trachée. Annie pense que ça a peut-être quelque chose à voir avec le fait qu'on boit de l'eau. Kevin incline à croire au bris de sono. Pour ma part, je penche pour le dimanche, tout simplement. C'est pas un jour drôle.
A fallu tirer J-C du lit, pas une mince tâche quand on est occupé à ne pas s'énerver. Annie a écrasé le champignon et on est arrivés chez ma mère pile à l'heure. Guère de bonne humeur, maman, parce que d'impécunieux amoureux des plantes lui en avaient piqué deux des siennes la nuit dernière.



Au retour, on a ramassé Kevin chez lui avant d'aller reconduire mon fils. Toute la jeunesse ardente et nue de Montréalville s'ébattait sur le flanc doux de la montagne au son des tam-tams, entourée de flics bleus et surplombée d'un mince nuage de boucane, bleue.

8.6.02

La gloire du matin s'est poursuivie tout le jour, comme une encre riche s'étendant par capillarité sur un buvard.



Le marché Jean-Talon! Renvoi aux sources symboliques des plus anciennes communautés humaines. Mer de visages sains et souriants pleins de pluie, de soleil et de campagne. Un sac de terre, un sac de tourbe de crevettes (de méthane). Pots de petites fleurs aux coloris savamment choisis par mon amour. Elle en a même inventé un: violet volatil. Puis les nourritures terrestres: prosciutto de l'Ontario, prosciutto parme, fromage de chèvre, Saint-André coulant, baguettes fraîches, calissons d'Aix (une gourmandise, autrefois distribuée comme hostie à l'office commémorant annuellement la grande peste provençale de 1630), chocolat noir, bordeaux grenat. Et ces prunes sucrées, ces tomates mûres, ce maïs de Californie, ces patates grelots, ces asperges grasses et le sein doux d'Annie tendre tendre comme un sot-l'y-laisse!



Dolce vita.
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Descendu chez fiston avec Kevin pour lui transmettre l'invitation de sa grand-mère à un bbq dominical. L'exiguïté de ses pénates nous a fait préférer le balcon; là, dans le soleil excessif de sa jeunesse triomphante, s'éployait le tatoo de divin volatile, prenant l'air sur les omoplates de mon kid. Ça ressemble à un géoglyphe de Nazca.



Plus tard en soirée, au Bunker, la tribu a joué à Le rouge et le noir, une sorte de Trivial Pursuit littéraire. Ça volait bas; Mario menait mais s'est retiré à mi-course devant l'inflation des décibels. Lui parti, ne restaient plus que K, Annie et moi: on a continué un peu, se querellant comme des chiffonniers, avant de décider de tout foutre ça par la fenêtre dans un grand éclat de rire. Les cartes blanches virevoltèrent joliment depuis le septième étage jusque dans la ruelle. Kevin nous a relu le chapitre IX des Raisins de la colère avec des sanglots dans la voix.

7.6.02

Virée au dépanneur. Sur Mont-Royal, le macadam est fermé à la circulation automobile pour la vente de trottoir, et l'asphalte est pavoisée d'oeuvres versicolores apparues durant la nuit. On forme un singulier duo, K me faisant la lecture et moi le guidant comme un aveugle, le détournant des arbres et des dos d'âne, lui frôlant l'épaule quand une voiture approche.
Je raconte à Annie que je comprends la dépendance au jeu: j'en ai souffert quinze jours en 1983, après que Natali s'en fut allée. Deux semaines durant, dans une sombre taverne de Rosemont, j'ai nourri de trente sous un insatiable, imperturbable bandit manchot. Puis plus rien. Ça m'est passé comme une fièvre.



Elle dit: «Il ya des gens, aussi, qui font cet effet-là...»



Kevin lit Les raisins de la colère avec ravissement, s'interrompant pour triturer le Petit Robert (quelle est la différence entre être métayer et prendre à fermage?).



Annie fait une entrée dans Les carnets rouges, puis retourne à Cet amour-là, de Yann Andréa. En principe, elle travaille dans 19 minutes, mais tout porte à croire qu'elle s'en fout.



Et moi? Je suis très occupé à être moi.

6.6.02

Retour de la pendaison de crémaillère des éditions Trait d'Union, au Carré Saint-Louis. Turgeon heureux, très présidentiel. Dominique Chénier en dangereuses formes.



Annie sirote un petit beaujolais pas piqué des vers en démontant mon ventilateur, celui qui gémit à fendre l'âme. Kevin descend sa Suprême en imprimant une page couverture couleur pour le manuscrit du roman d'Annie



On va se faire une de ces platées de vermicelli avec la sauce à Mario! La pasta non aspeta...
Kevin revenu rue Hutchison, pour finir de réparer le loquet. Annie sera contente d'économiser une porte neuve. Nous nous entendons, tous les trois, comme le sel, le citron et la téquila.
Écoute les monologues de Pierre Desproges. Rire jaune fondamental, grinçante intelligence d'outre-tombe. Fais gaffe toubib: j'ai piégé mes métastases! Souvenirs de Paris, de Valérie, de me faire bouffer les couilles quasi par le chien du chef quand ils nous a surpris dans les toilettes du restaurant ché plus lequel près d'une église ché plus laquelle...



Paris en juin: deux semaines suffisent pour se rappeler qu'on est bien chez soi, sauf si on est Parisien, cela va de soi.
Quarante-huit (bonnes) heures loin du Bunker. Serait temps de rentrer. Annie est partie travailler. Kevin a dormi chez lui, histoire de gérer son hôtel. Juin avance et toujours pas de livre à l'horizon. Faut que je fasse attention en traversant la rue.

5.6.02

Kevin et moi demandons grâce: Annie nous a gavés de civilisation sous forme de potage de poireaux marbré de crème fraîche, de grillades et de pommes de terre en robe des champs; quelque part entre les fraises et le fromage, ma ceinture cède.
Tout le mile-end fleure bon l'humus, la tourbe mouillée, le germinal. Annie travaille à son roman, excitée comme une puce sexy, et je picole gentiment à côté, tour à tour reprenant puis délaissant ma lecture. Dans la rue, les hassidim vaquent à leur vie avec un air de certitude tranquille, de conscience, de satisfaction séduisant. Les marchands de fruits s'agitent et le facteur tire la tronche en traînant de la patte: c'est jour de catalogues.
Tendre hier. Conciliation. Avec A, on s'est mitonnés mon premier bar-b-q de l'année, puis on a piraté des tounes de Claude Dubois et on les a jetées à la corbeille sans même les écouter, puis on a baisé sur une brave petite chaise qui n'avait vraiment l'air de rien.
I've dreamed of eden all my life

I find it more and more each day

Now everywhere I go across the land

I stand so proudly in the sun and say

I am home




Molly-Ann Leikin

East of Eden (An american hymn)

4.6.02

Sporadiquement, j'arpente mon territoire sans bouger de mon bureau, en consultant MontréalCAM. Je vais voir mes pingouins au biodôme, par exemple. À cette heure, ce qui frappe, c'est la quantité de camions au centre-ville, dans le Vieux-Montréal et, par extension, le Vieux-Port. Ces mastodontes innombrables irriguent les artères de la ville comme autant de globules rouges, charriant le boire, le manger, le papier-cul (ça, ce sont les globules blancs, je suppose). La cité s'éveille en pétant comme le proverbial géant assoupi et s'apprête à vivre sa journée.
Vous êtes-vous déjà installé à l'ordi avant d'être tout à fait réveillé? Soudain, une putain de corne de brume mugit de nulle part. Ça dissout le cérumen et ça chasse la chassie, c'est moi qui vous le dis.
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Je relis Sarek, d'Ann C. Crispin, un roman de trekker. C'est au violon que je me suis laissé brusquement happer par l'univers de Star Trek; confiné avec quarante voleurs dans une caverne froide, cacophonique et malodorante, le sommeil me fuyait et, couché à même le plancher de béton, j'ai trouvé refuge dans le rêve: la liberté de l'espace infini, la loyauté de personnages fictifs, la justice immanente d'un futur télévisé.
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Je suis là aussi. J'entends.

3.6.02

Roupillé on & off tout ce saint lundi comme une corde de bois.
Bertrand Laverdure annonce sur Graffiti que le texte de Mario paraîtra dans Moebius #94. J'appelle l'intéressé qui, stressé, se pointe dans l'heure. K et moi lui faisons fête. Arrive Éric Drouin, suivi de peu par Jean-Christian Mistral, ce grand fouet magnifique qui me ressemble en tous points, excepté le tatoo de faucon-dieu qui bleuit désormais toute l'ampleur trapézoïdale de son dos. Mon bébé, tatoué!

2.6.02

Kevin m'a réveillé en modulant une pétarade. Encore ivre d'hier, il a déjeûné comme a son habitude de deux hot dogs froids sans rien dedans et s'est recouché tout habillé. À chaque jour suffit sa cuite. On ne peut guère se soûler quand on est déjà soûl.



Bertrand n'est pas venu.



1.6.02

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Post Meridionem de musique et de broue. Kevin râle en silence et me zyeute et me checke au cas où je pognerais le cafard. À voir! Je m'en vais nous bouillir des fettucini, Alfredo, tandis que retentissent dans tout l'appartement les suppliants accents de Pagliacci.
Vu, dans l'ascenseur, ce graffito au feutre gras: C'est beaucoup plus propre! Bon concierge: on se le garde!



Mario appelle pour connaître l'origine d'une citation. Je la crois de Baudelaire, mais sans certitude. Lui recommande d'appeler Kevin, qui confirme, nomme le titre du poème et la page des Fleurs du mal où il se trouve.



L'un s'en vient avec de la bière, l'autre avec un sonnet à imprimer. Un samedi ordinaire.
3:30: visite de mon vieux Bertrand, engoncé dans un fuseau de cuirette. Allé danser au Passeport, à en juger par sa pochette d'allumettes. On a parlé du cancer de son père. On a parlé de son père. «C'est dur de le voir pleurer tous les jours. Depuis qu'il a accepté, c'est plus facile. J'aime m'en occuper. Ça me fait du bien...»



De ses cours de soudure. «À la fin de la journée, tu vois ce que tu as fait, c'est du solide!»



Du dernier roman de Louis, que je lui ai prêté et que je lui réclame. «C'est dur de lire quelqu'un qu'on connaît aussi bien. Même les tiens, j'ai de la misère, mais toi, je te connais trop.»



Il est reparti avec la nuit en promettant de revenir ce soir.

31.5.02

Exit Mario-des-Bois, venu me prêter de la thune et du tabac. Est arrivé trempé comme une vadrouille. Belle âme humide.



Quelques chapitres de son roman, Accroires, sont désormais lisibles en ligne.
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Plafond bas, ciel plombé, pluie flagellante et zébrures d'éclairs: atmosphère de Forêt Noire et de quête chevaleresque.
K parle de schizo-fiction et il a bien raison. A dit que j'écris plein de menteries et elle n'a pas tout à fait tort. Mais c'est plus que cela: c'est une cartographie de l'esprit, avec ses méandres et ses sous-bois et ses territoires accidentés. Ce lieu qui est mien, non pas qu'il m'appartienne, mais parce que je lui appartiens.

30.5.02

Hier, au lancement, j'essayais de me remémorer pour Justine la substance d'une dissertation produite durant mon bref passage au cégep Rosemont, il y a vingt ans. Ça portait sur la symbolique du château chez Sade. Un peu plus tard, j'aperçois Heinz Weinmann, qui donnait le cours de littérature américaine. Or, il n'y a que dans ce cours que j'aie appris des choses utiles, entre autres que je détestais Faulkner et que, à l'instar de Zelig, j'étais incapable de finir Moby Dick.
Kevin revenu de chez sa maîtresse bien dérouillé, les idées claires. Pendant ce temps, toute une faune ronflante et bigarrée campe chez lui. Ça me fait tout drôle, le rôle de reposoir.



Il songe à aller travailler aux champs quelque temps. «Me refaire du muscle! Sortir de la ville! Rapporter des fruits et des légumes! Et du fric. Alors, cette schizo-fiction, ça avance?»
À force de tempêtes et de cajoleries, réussi à arracher une autre page érotique à Valérie (Venne). Résolu à ne pas lâcher cette garce de génie tant que je n'en aurai pas extrait un livre entier.

29.5.02

Mine de rien, j'ai scoopé Radio-Canada de deux jours à propos de la glace sur Mars, la planète rouge, rouge comme un bûcher de vanités...
Téléchargé Les colombes, par Lise Thouin, chanson-thème éponyme du film de Jean-Claude Lord. Après l'avoir vu, mes parents avaient acheté le 45 tours avant de s'enfermer dans la chambre à coucher. Quand je l'ai finalement visionné, c'était avec Louis Hamelin: on s'est ramassés tellement excités qu'on a failli téléphoner à Lise Thouin. Trente ans plus tard. Finalement, la raison a triomphé et on s'est plutôt chicanés sur le lieu du suicide d'Hubert Aquin, ce qui a réveillé Kevin dessoûlant sur le sofa. Louis beuglait: «Tu vas pas m'apprendre le lieu du suicide d'Hubert Aquin!»



Il avait raison...



Ne dessinez plus des colombes

Sur les murs recouverts de sang

Vous qui avez perdu le monde

En essayant d'être des grands

Ouvrez les cages des colombes

Ouvrez les coeurs de vos enfants

Ils sont le seul espoir au monde

Ils sont les seuls qui ont le temps...




Ce qui nous a calmés, Louis et moi, cette fois-là (notre vrai problème, c'était Irina), ce furent ces lignes stupéfiantes: les enfants dont la chanson parlait, c'était nous!
Chaste tour du chapeau: d'abord la bibliothèque centrale (soleil de plomb et pluie battante), ensuite la Nationale (lancement de L'Or, par André Petrowski, éditions Trait d'Union), enfin le vaste trou qui sera la Très Grande Bibliothèque.



Tout s'est admirablement passé, sinon que je n'ai cessé d'appeler Michel Lacombe Pierre. Cet excellent homme n'a même pas sourcillé.



L'infortunée Justine, un peu grise, voulait faire quelques pas avant de prendre le volant. Nous avons marché trois fois autour du pâté de maisons; à chaque passage devant la marquise du Quartier Latin, je remarquais qu'Infidélité passe dans deux salles.

Maman combat sa bronchite annuelle, «ce vieil ennemi» comme elle l'appelle. Et, pour la première fois de mémoire de fils, c'est la bronchite qui gagne et la cloue au lit.



Mario sort d'ici à l'instant. Je lui ai fait faire un voyage dans le temps à coups de mp3. Comme j'ai toujours envie d'aimer, Les enfants de l'avenir, Le temps est bon, Whiter shade of pale, L'oiseau, Killing me softly, Je suis cool, O sheriff o, J'entends frapper, Le début d'un temps nouveau...



Je lui raconte comment ma mère se mettait en rogne en entendant Gilles Valiquette déclarer que c'est pas sa faute «si le monde, c'est toute des pieds!»



Et quand, à douze ans, je suis rentré avec le 45 tours de Nanette, J'ai le goût de baiser, elle m'a fixé d'un air exaspéré. «Sais-tu au moins ce que ça veut dire?» elle a demandé. «Oui...» j'ai menti. «Bon, alors, tu peux le garder.» And that was that.



Mario, ses parents n'ont jamais fait la moindre remarque, il s'en rend compte seulement maintenant, comme de plein d'autres choses. Sauf la fois où sa mère a trouvé dans sa poche une note manuscrite l'enjoignant de rapporter son Revolver au cégep! Il lui a fallu un bout de temps pour la convaincre qu'il s'agissait de l'album des Beatles, emprunté à la sonothèque.



À celle qui se sert d'un anonymiseur pour me lire: je sais qui tu es.



Coup de fil de Mario: le petit chaperon gris s'en vient me porter de la sauce à spaghetti.
Vidéotron semble avoir rétabli la connection, qui s'interrompait dix fois par jour, à un niveau satisfaisant. Maintenant, c'est Blogger qui déconne. Le stress me coupe la chique. Je me sens comme un corsaire dont le vaisseau prend l'eau: il passe son temps à écoper.



Néanmoins, je parie qu'aujourd'hui sera un riche mercredi. Je me suis même laissé fixer un rendez-vous clandestin par Justine. Et j'ai une nouvelle ou un poème sur les monstres à torcher pour Moebius. Les monstres! Par les entrailles du Christ, ça me connaît.



Quelqu'un peut-il m'expliquer comment j'en suis venu à être coopté par la fameusemafia de Moebius sans même m'en rendre compte?



Avec Annie, tout semble bien fini. Du diable si je sais comment ça s'est produit.

28.5.02

Réussi, après dix-sept ans de vaines recherches, à remettre la main sur l'incomparable chanson (Ils reviendront) Les jours heureux de Charles Aznavour (vivement qu'on lui pardonne son succès et qu'on le reconnaisse pour ce qu'il est: un grand auteur).



Surtout, qu'on ne me demande pas comment j'ai fait. Si on vous interroge, dites que vous n'en savez rien. Dites qu'elle est tombée d'un camion, la chanson.



Assis sur mon balcon, je me laisse transporter de frissons par ces accents bouleversants qui évoqueront toujours pour moi mes années avec Maia. Et je songe que, où qu'elle soit, ça lui fait bien soixante-sept ans, maintenant. La plus belle créature de l'univers, quasiment septuagénaire.



Une lectrice, Ginette Desmarais, m'envoie gentiment cet éclaircissement: «Les rues de Montréal ont été orientées en tenant compte du fleuve plus que de la boussole. Nos rues nord-sud sont perpendiculaires au fleuve et nos rues est-ouest sont parallèles. Ça explique aussi l'orientation bizarre de certaines routes provinciales.»

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Voilà, pas plus compliqué que ça. Je peux continuer à prétendre sans mentir que chez nous, le soleil se couche au nord.
Déjeûnons du reste du pâté. Mastiquant, absent, je m'avise soudain que ma fenêtre donne sur l'ouest. Depuis cinq ans, je vante ma vue sur le nord, pour l'incomparable qualité de ses couchers de soleil. L'axe nord-sud de Montréal n'est donc qu'une convention?



Hier soir, les nuages évoquaient un dragon qui, ayant avalé le soleil couchant, refluait en digérant.

27.5.02

Le steak haché grésille dans la poêle, empoissant la touffeur ambiante. J'ai vendu assez de livres pour un pâté chinois, quatre grosses bières et une tarte au citron. Kevin, arrivé en costume-cravate, comme pour défier la canicule, capitule; il tombe la chemise et roule des tiges.



Mario est passé imprimer la liste des jours fériés. Dans le monde. Entier. Si j'ignorais qu'il s'agit d'un travail à la pige, je mettrais ça sur le compte de son «génie pour le farniente»...
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Le canal D repasse l'épisode de L'homme de six millions dans lequel Jaime Sommers apparaît, vient près d'épouser Steve, est bionicisée et meurt d'une tumeur au cerveau.



Je ne l'ai plus revu depuis vingt-cinq ans, mais je me souviens comme si c'était hier soir des circonstances dans lesquelles je l'ai regardé la première fois. Quand ma mère est rentrée à la maison, j'avais le visage baigné de larmes; elle m'avait trouvé fiévreux et mis au lit séance tenante.



Je ne comprenais pas encore l'anglais, mais je pigeais déjà la tragédie.
Réveillé brusquement avec une variété d'érection matinale pour laquelle les Nippons connaissent des dizaines de noms différents. Rêve mué en cauchemar: venais de louper un rendez-vous avec July Balfus. July! Vingt ans plus tard, elle acceptait qu'on sorte un soir et je me retrouvais plutôt, je ne sais comment, au restaurant avec le petit de RBO...



Aujourd'hui, j'irai faire un tour du côté de chez XYZ. Voir à mes affaires.

26.5.02

Mon cher Mario est passé en coup de vent pour m'apporter une quille de Suprême. «Bonne inspiration, là! Je vais surveiller ça demain...»



Désolé, mon pote, mais je m'écrase avec Le Prince et je tète sans plus écrire. Je n'ai rien d'autre à dire, que merci.
Lecteur fort fâché après moi parce que j'ai parlé d'invention dans le Journal. Semble croire que je le floue. C'est pourtant tout le contraire, mais il faut croire que ça ne crève pas les yeux.
QaPlaH! Hosanna! J'ai dégotté en furetant rien moins que le scénario de Star Trek X: Nemesis. Quel délice interdit, quel plaisir j'éprouve à gâcher mon plaisir!



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Dans le même ordre d'idées, Mars Odyssey a trouvé de l'eau sur la planète rouge. La NASA l'annoncera jeudi.
Mario débarque. «Quoi de neuf?» lance-t-il, jovial.



«Pas grand chose», je dis. «Tellement peu, en fait, qu'il faut que j'invente des trucs à mettre dans le Journal. Pour tout dire, t'es même pas là!»



Il rigole. Je l'emplis de confiture d'abricots et lui donne la recette, celle d'Annie. On se sent Plateau en diable.
Cependant qu'au salon les filles dialoguent sur leurs vagins («Le mien, si c'était une vedette, ce serait Céline Dion: naturel, nerveux, diva!» «Le mien, il me rappelle Maria Callas!»), je fais quelques parties de backgammon à la cuisine avec C. Ce week-end s'étire, s'étire, ne finira jamais et c'est très bien comme ça. «Le mien a des airs de Michael Jackson...»



Très bien comme ça, parce que mes archives papier attendent depuis un an que je les classe et que j'ai décidé de m'y attaquer aujourd'hui.



C me parle d'E Ink, un surgeon du MIT qui développe un écran flexible très prometteur. Les pixels s'agglutineraient par électricité statique et seraient éclairés de l'extérieur, par la lumière ambiante réfléchie, comme un livre, ce qui permettrait d'emporter le support au soleil. Combiné à un chargement sans fil, ce bidule pourrait recevoir un roman ou un tout nouveau journal chaque matin. Restent l'écran à amincir (ils en sont à 6 mm) et la résolution à augmenter.

25.5.02

Éric Roger m'envoie un poème écrit pour moi en buvant une Bud à l'Île-des-Soeurs.



Petit poème pour Mistral




être béni dans l'anus royal



Je cherche un sourire

à mettre sur mes lèvres

le ciel a violé mon âme

j'emprunte un cierge

je le plante sur un nuage

vaut mieux avoir deux yeux

pour éclairer la réalité

nous sommes abstraits

dans ce pays d'amertume

il nous faut un Jack

l'éventreur

pour faire bouillir

nos coeurs meurtris

nous urinerons dans la

face cachée du ciel

pour faire apparaître

l'emblème hiérarchique

du règne royal

tu sais un peu comme on

nous le montre dans le

générique des épisodes

de Batman

nos reines nous conduiront

au meurtre

nos rêves exploseront comme

des bombes

je continue ce profond rêve

je me retrouve dans le monde

de Ulthar

non! je me vois plutôt

là où une princesse du nom

de Diana

s'est éteinte

Diana dans toute sa splendeur

mais coupable d'en savoir

trop concernant le règne

monarchique et diabolique

du pouvoir britannique.




(© Éric Roger 23 mai 2002)







Beau samedi. Une confiture d'abricots amers mijote sur le feu; je crois que j'ai peut-être mis trop d'eau. Si ça marche, je la foutrai dans le petit pot Mason que Marie-Josée a orné de fleurs peintes à la main avant de me l'offrir.



J'entame la lecture de L'hiver de notre mécontentement de John Steinbeck tout en regardant Abattoir 5 du coin de l'oeil.

24.5.02

Hier, Kevin s'est résolu à liquider quelques trésors qui lui tenaient tant au coeur qu'à la conscience... enfin, il ne serait pas prudent de ma part d'élaborer, so, anyway, on a traversé le Parc Lafontaine et un petit vent doux nous gardait secs; le bassin était plein d'eau, les pelouses de vieux, de guitaristes chevelus et d'indolents tatoués.



La nuit d'avant, mon vieux K avait failli se faire embarquer par les cochons pour une banale histoire de trouble de la paix publique. Son copain Ed, moins roublard et plus pur, s'est fait péter le crâne sur le toit du véhicule policier avant de disparaître à l'intérieur. On n'a su qu'en soirée si La Seigneurie d'office avait jugé opportun de le libérer. Kevin, ça l'a rassuré.



Et puis le timbre du Bunker a résonné, toutes les notes de mon code bien découpées, claires, propres et rythmées que c'en était une beauté, j'aurais pas fait mieux moi-même, c'est tout dire, et comme de juste c'était monsieur mon fils, JCM en personne, beau comme un demi-dieu grec (un tiers décathlonien, un tiers philosophe, un tiers bouc). Juste au moment où les traces de sa taille ascendante perçaient sous la peinture...



Je lui ai montré où se trouvait mon testament. Il m'a donné l'assurance qu'il saurait s'occuper de mes affaires en cas de besoin. Je n'ai pas hâte de ne pas voir ça.



Plus tard, Éric Drouin est venu. Sûr qu'ils se passent le mot pour me foutre la crise cardiaque!



L'est monté m'acheter un sachet et n'y a pas touché. Si Éric peut faire ça, d'insoupçonnés possibles s'ouvrent à moi ce soir.