7.5.02

K s'offre un autre A+. C'est bien ma veine. Lui qui devait repeindre la salle de bains aujourd'hui, il ne passe plus la porte.
Que de simagrées spectrales,

De grises singeries en ce siècle usé déjà,

Lourd du bagage laissé là

En héritage par des sots satisfaits

Et recueilli par des ignorants

À l'innocence bouffie...



Autrement, j'ai pas à me plaindre.

6.5.02

Spiderman

Érika nous invite à fêter les notes de Kevin: lui, moi et l'imprimante. Malheureusement, celle-ci est déjà prise: elle sort avec le moniteur et exprime ses regrets. Le moniteur a le disque si dur qu'il est sur le point de télécharger sur mon bureau. Sa puce et lui vont au cinéma: ils verront Spiderman (pour le web).
K a reçu ses notes. A, A+. Il flotte. À jeun. Moi, je suis sûr que les lauriers reviennent à l'imprimante.
Tournée des bouquinistes avec une pile de livres à convertir en liquide. Blackburn pas disposé à prendre le lot. «Tu vas me caler dans ton journal?»



Kevin s'occupe de l'Échange et de l'autre à côté. En tout et pour tout, on récolte 9.50$, juste assez pour deux bières et deux timbres. Faut poster les déclarations d'impôt de K, complétées à la lueur de la chandelle durant la panne de samedi soir.



Pris deux douches, une pour chaque jour d'amour à dissoudre. M'ennuie de son minois mutin...



Ajouté un paragraphe à Origines. Et on dira que l'écrivain ne fait pas partie de la classe laborieuse! À bon lecteur, salut.



Heureusement, Kevin appelle pour s'enquérir de l'état de ma tabatière. Il s'en vient me sauver du travail.
Éditorial: Ce matin, le juge va expédier Maurice Boucher au pen pour vingt-cinq ans (aussi pour meurtre et tentative de). C'est bien joli, mais qui va organiser le crime, maintenant? Attend-on du crime qu'il s'organise tout seul? Parfois, je me demande vraiment à quoi songent les autorités. Ce genre d'improvisation à courte vue dans l'exercice de la justice doit cesser. Libérez Maurice Boucher!

5.5.02

Grande réouverture. Les fuites sont colmatées, les vitrines remplacées. Pas de dimanche pour les diaristes.



Idées de cadeaux: kimono et Kate Spade.



Tombé sur: Mario, en revenant de chez Érika. Lui ai refilé une antenne pour la télé que Kevin lui a donnée, plus une canette d'air comprimé pour déloger la merde qui rend le son intermittent. M'a rapporté trois rouleaux de papier-cul et du café pour la douce.



Mot du jour: ergastule. n.m. Prison souterraine, cachot d'esclaves romains.
Fermé pour cause de dommage colittéral.

4.5.02

Elle dit: «Tu sais quoi? Je déteste pas que tu sois comme ça...»



Pas possible, je pense. Il reste des femmes comme ça sous le soleil mat de mai à Montréalville? Qui font la différence, je veux dire. Entre mon humeur massacrée par le lancement à la librairie Hermès dont on sort en respirant profondément, assis sur un banc de bois, et la joie que je retrouverai bientôt à son contact rieur humide et noisette et serein doux comique et cochon.



La voix de Piazza, déclamant sa poésie d'exil, son regard qui me cherchait dans la pièce pour s'arrimer au mien jusqu'à la fin des vers, le restant des écus, tout ça m'a bouleversé au-delà des mots, des papesses à roulettes , des livres de quarante pages, des vieux livres neufs muséables que ma blonde achète et qui portent mon nom.
Elle me fait bouffer de somptueuses cochoncetés, on baise comme des demi-divinités («Pourquoi pas des dieux?» proteste-t-elle; j'objecte qu'il faut pas être trop gourmands) mais ça suffit pas à brûler tout ce sucre et ces lipides, elle dit qu'elle est un peu sorcière et moi je remonte à mon premier orgasme, agrippé bras et jambes au poteau d'arrêt-stop, j'avais cinq ans et je venais de voir Hansel und Gretel raconté par Fanfreluche: ce gamin encagé qu'on engraisse pour le manger, à qui l'on tâte le doigt journellement afin de mesurer le progrès du régime: lui aussi avait les mains douces... Je grimpais, grimpais au poteau et j'ai joui en touchant la pancarte, tout éberlué.



Vous pouvez constater que j'ai ajouté une fenêtre de recherche Google en tête de page. On s'amuse avec si peu. En ce moment, torse nu, j'observe par la fenêtre des fillettes hassidim qui sautent à la corde et jouent aux élastiques; soudain, elles s'arrêtent, fixant quelque chose ou quelqu'un. Ma foi, c'est moi! Oï!Je retraite dans l'ombre, un tantinet honteux.



Ça danse, ça danse et c'est shabbat!

3.5.02

Il neige tout le temps dans ce pays, c'est pas possible! Eh! Là-haut! C'est plus drôle!



Hier soir, César. Enfin, presque. Avec Érika, on s'endort au milieu (du film, du lit). Kevin tient le coup jusqu'au bout. Ma microsoft nous a gavés de crêpes fourrées de fresas borrachas (fraises soûles: macérées dans le sucre et le vin rouge).

2.5.02

Le Bunker, mon studio, est une boîte. Une boîte à vivre. Des courants s'y assemblent, un faisceau de forces, une gerbe d'énergies. L'hydro-électricité circule de la Baie James jusqu'aux prises encastrées dans les murs. J'y branche deux ventilateurs, cinq ampoules, un tube au néon, une télé, un magnétoscope, un ordinateur, un moniteur, un modem, une imprimante, deux haut-parleurs, un grille-pain, un poêle, un frigo, une cafetière espresso, un aspirateur et deux cells, plus le câble.



Cela posé, je vois un prévenu sorti d'un char de police menottes aux poings, vêtu de toile rayée horizontal, un habit de forçat. N & B. Daltonesque. Exposé à la vindicte publique, le gars participe d'un moulin à viande qui se réclame de la loi et de l'ordre; pire: de la justice.Un jour prochain, ce sera moi, ce sera vous. Et il sera bien temps de hurler.



On expérimente sur des rats sanglés d'une caméra miniature, leur cerveau relié à trois électrodes commandées par un PC. Gauche, droite, centre du plaisir. Des légions de rats gouvernées pas une souris. Skinner serait content: les bêtes robotisées vont là où l'ont veut. «Ça pourrait servir à découvrir les survivants de cataclysmes!» Eux-mêmes sanglés de caméras, leur cerveau relié...



J'aurai si peu fait pour éviter ça, impuissant que je me sens, découragé. Il sera bien temps, alors, de hurler...
K m'a montré à peigner ma barbe et ma moustache avec une brosse à dents. Ce garçon est plein de ressources, ça lui sort de partout. Pendant ce temps, Érika taille dans un tas de verbes vermoulus.
Idée de caricature: un soldat Israélien aux latrines, son treillis sur les chevilles. À côté, un rouleau de papier-cul imprimé: c'est la convention de Genève. On pige qu'il s'apprête à se torcher avec.
Petit matin à la lisière d'Outremont. Descendu six sacs de vidanges, laissé mon souffle dans la ruelle.



Hier, Fanny. «Laisse un peu mesurer les zotres!». Lasagne d'enfer préparée par Érika, qui la baptise Sainte-Trinité (veau-porc-boeuf). Chandelier à la place d'O'. Kevin dort dans son lit (d'O') désert surmonté d'un dais, mais refuse de s'immiscer sous les couvertures.

1.5.02

CASSIO:



I will ask him for my place again; he shall tell me

I am a drunkard! Had I as many mouths as Hydra,

such an answer would stop them all. To be now a

sensible man, by and by a fool, and presently a

beast! O strange! Every inordinate cup is

unblessed and the ingredient is a devil.



Que je veuille lui redemander ma place,

il me dira que je suis un ivrogne.

J'aurais autant de bouches que l'Hydre,

qu'une telle réponse me les

fermerait toutes...

Être à présent un homme sensé,

tout à l'heure un fou, et bientôt une brute?

Oh ! Étrange ! Chaque coupe de trop est maudite

et a pour ingrédient un démon.


Othello

William Shakespeare

Acte II, Scène III

Traduction : François-Victor Hugo




Deux enveloppes aujourd'hui: la première contient un cachet symbolique de 20$ pour une nouvelle à paraître dans le premier numéro de la revue Jet d'Encre, Faculté des Lettres, Université de Sherbrooke. La seconde m'avise à nouveau de renouveler ma cotisation à l'Union des Écrivains: 101.23$...



Une fois le chèque changé à la conciergerie, je vais au dépanneur convertir l'argent en liquide. Stephen Faulkner attend un taxi avec sa fille Alice. Coup d'oeil à mon bide: «Baptême, Mistral, tu prends de l'expansion! Fais attention, c'est pas la semaine des poètes...»



On se recueille un instant à la mémoire de Sylvain Lelièvre.



Mario passe avec des tubes et du tabac. «Demande-moi comment je vais?» dit-il en passant la porte. Je m'exécute. «À 400 km/h et j'ai plus de freins!»
Aphane m'assure avoir déjà vu ce mot, Arenquoi, quelque part. L'ai imploré de chercher où.



M'a mett' un homme, m'a mett' un homme, m'a mett' un homme là-dessus!
portrait d'Émile Nelligan

Hier soir, Mario débarque pour imprimer le texte qu'il destine à la revue Moebius. Kevin fournit le papier blanc, j'y vais d'une enveloppe et d'une lettre de présentation. L'imprimante appartient à Mario; on la garde ici pour lui épargner la tentation de la mettre au clou.



Un coup partis, on décide d'aller la livrer en personne, l'enveloppe. Les bureaux des Éditions Triptyque sont tout près. Il est aux alentours de vingt heures trente. En attendant l'ascenseur, je demande à Mario: «Dis, le matériel du Journal, tu crois que je vais pouvoir en faire quelque chose?»



«Bizarre que tu le mentionnes, répond-il. Je me disais justement que tu devrais l'intégrer en annexe d'Origines. Les contingences de la vie d'écrivain, les grandes plages d'oisiveté, la trivialité côtoyant le sublime, tout ça. Enfin, c'est juste une idée...»



Juste une idée! J'ai failli l'embrasser, ce con.



Arrivés chez Triptyque, on glisse l'enveloppe dans la boîte quand je m'aperçois qu'il reste du monde à l'intérieur. Giroux travaille tard. On entre. Je lui présente mon copain à nouveau: le dernier Salon du livre est loin. «Tu es l'entremetteur, alors?» fait-il. «Moi? dis-je. Tu sais bien que je suis une vieille mère maquerelle, Robert!»



Il nous invite aux 25 ans de la revue, jeudi, et me remet le numéro tout chaud dans lequel figure enfin cet inédit de Nelligan que je l'avais pressé de découvrir l'automne dernier.



Une fois dans la rue, Mario s'enquiert: «Il t'a remercié pour avoir insisté afin qu'il rappelle la vieille dame?»



«Ben, oui. Regarde, ici!»



Je lui montre du doigt l'endroit dans la revue. Il lit: «La revue Moebius remercie tous ceux qui nous ont permis de reconnaître et de reproduire ces deux textes de Nelligan.»



Il me regarde, dubitatif, de l'air qu'il prend quand il n'est pas sûr si je me paie sa tronche. Je ne dis mot. Je consens.



Plus tard, Kevin arrive avec le reste de la bière que sa mère lui a fournie en guise de pot-de-vin pour qu'il repeigne sa cuisine. Je lui confie le flash de Lemoine. «Évidemment, j'ajoute, c'est risqué. On pourrait croire que je perds jamais de vue l'objectif de le publier...»



«Et après? s'esclaffe-t-il. C'est vrai! Tu le publies déjà sur le net, au fur et à mesure, et puis t'en as jamais fait mystère: un écrivain écrit pour publier.»



Là, il s'interrompt et fixe la noirceur par-delà la fenêtre, un long moment, se mâchant la moustache, avant de reprendre: «En plus, ainsi, tu peux t'assurer de produire un matériau utilisable!»



Et il reprend son courriel à O'. Je m'endors avec le sentiment d'avoir beaucoup progressé, que le livre prend sa forme propre, particulière, peut-être même utile. Cool.



Ce matin, j'ai envie d'offrir au domaine public ce poème qui lui appartient: il s'agit du seul véritable inédit de Nelligan (l'autre étant une variante du Vaisseau d'Or, passionnante, surtout le vers S'étalait à sa poupe au soleil explosif. Vous vous rendez compte? Ça a été transcrit en 1934, Émile a 55 ans, la proue est devenue la poupe et le soleil, d'excessif, lui pète carrément au cul!) découvert par Marie-Catherine Provost, arrière-petite-fille d'Isabelle.



Isabelle

Émile Nelligan



Souvent il la voyait de laurier couronné

Et la fille des bois se sauvait au rivage:

Pour cacher sa nudeur sous le manteau sauvage

Ou saisir son beau bras au flot abandonné.




La caverne maudite où comme (?) un long tonnerre

Dans les bois résineux de feux environné;

Et Arenquoi (?) s'enfuyait, étonné,

On entendait les cris de sa sourde colère.




Lorsqu'au matin suivant les guerriers inquiets,

Descendirent la côte en se parlant français,

Sous les traits d'un chasseur bienfaisant et tendre,




Qui lançaient (?) sur la rive et les flots leurs dards verts

Lorsqu'on vit l'Indien nageant soudain vers

La fille du pêcheur qui paraissait l'attendre.






Voilà. Dis, Émile, c'est l'Iroquois qu'il faut lire, non?