28.3.03

J'apprends par La Presse que les résidents de Bagdad s'appellent des Bagdadis. Ça s'invente pas. D'autre part, je me réjouis que l'emploi du terme états-unien se généralise (pas dans La Presse, toutefois, ni à la télévision). Nous leur avons trop longtemps cédé le monopole de l'identité américaine.
Réveillé en sursaut par une espèce de cauchemar. Kevin et moi, on entrait dans un bistro en camion. Je continuais le chemin sur un haut tabouret qui avançait tout seul et que K s'avérait impuissant à stopper. Puis, on se retrouvait au violon avant d'aboutir chez lui, où un gros beu attendait patiemment, ses bajoues fendues d'un faux sourire, qu'on exhibe nos papiers. Une maîtresse de Kevin s'extirpait du plumard et, me reconnaissant bien qu'elle me rencontrât pour la première fois, se mettait à me peloter avec des gestes hystériques, et une fois encore, K n'y pouvait rien. Moi, en désespoir de cause, j'ai fui le sommeil et la situation.



Fin de la grève de dix mois à Vidéotron. Depuis le début des votes syndicaux, le serveur de courrier déconne dur.



Par ailleurs, Jean-Pierre Cloutier reprend ses Chroniques de Cybérie, pour mon plus grand plaisir, sans parler de mon instruction. La première du nouveau cycle m'envoie d'ailleurs des lecteurs à la tonne, ce qui explique l'affolement de mon compteur de visites.

27.3.03

Mon texte complètement fou sur la folie paraît aujourd'hui, à quatre jours du premier avril, dans l'excellentissime journal ICI
Madame MacLean, la concierge en second, n'en a plus pour très longtemps; un mal mystérieux la ronge. Elle et Larry, son mari, déménagent samedi à Drummondville et elle m'a tricoté des pantoufles en cadeau d'adieu. Ai embrassé chaudement ses chères joues parcheminées.
Hier, rencontre d'affaires avec Julie à la brasserie Cherrier. Elle m'a battu au billard, puis on a monté la campagne de presse. Son idée pour le lancement: commander à Kevin cinq cents litres de bagosse de première qualité.

26.3.03

La remise est déjà démolie à moitié. Le conteneur est plein de débris, de planches et de bouts de madriers. Démolir, c'est une affaire de rien, c'est molir qui est dur.



Regarde Sonatine à la télé. Marcia est une enfant, une garçonne, pour l'éternité, au Canal D.



Je songe à mon prochain appartement. Si Maxime-Olivier n'y voit pas d'objection, je le baptiserai le Moutier, qui signifie monastère...
Joie de la redécouverte! Malherbe écrivait «à cause que» et Henri IV «arsoir» (ce soir).



Vais tenter de convaincre Pierre d'inclure des rabats à la couverture de Vacuum, quitte à le vendre un peu plus cher.



M'échine à décrire le projet Goth pour ma demande de bourse au Conseil des Arts.
Allé vendre quelques livres à L'Échange. Au retour, croisé Richard Martineau. On a jasé quelques minutes sur le coin d'une rue. Il regardait ma barbe et moi la sienne. Je crois qu'on réalisait, stupéfaits, qu'on avait blanchi ensemble dans ce business.



Suis à lire le Marie de Médicis d'André Castelot. Fasciné de constater qu'on parle toujours ici comme à cette époque, qui vit nos ancêtres quitter la France et l'histoire se diviser. On n'a jamais, ici, rapetissé le déjeuner, et le soir on soupe encore.



25.3.03

C'était une journée à arcs-en-ciel: faisait soleil et mouillait en même temps. Une journée d'arches et d'alliances. Aussi ai-je accepté de diriger ma création, la collection Graal. Vais d'abord l'inaugurer, ensuite on verra bien.



Quand Pierre a loué mon professionnalisme, j'ai rougi comme une jeune fille.



Suis passé aux Catacombes. Kevin avait oublié de me laisser la clé. Suis revenu sous la pluie, la queue entre les jambes et le coeur pourtant léger. Il vient de m'appeler à l'instant. N'a pas d'argent mais ne doit rien au dépanneur. Autant dire qu'il est riche. Vais peut-être remonter.



Sous ma fenêtre, deux iconoclastes à col bleu s'affairent à démancher ce qui est peut-être la dernière shed du Plateau Mont-Royal. Vrai, c'étaient des nids à feu, mais quel charme disparaît avec elles. Denys, en s'en servant comme arrière-plan hier, ne se doutait pas qu'il capturait l'histoire à ce point.



Terminé la révision des premières révisions. Me sens plein de paix et de satisfaction.



Sommeil troublé. Ne connaîtrai pas le repos avant d'être venu à bout des corrections. Justine veut aller se promener dans le parc. Pas le temps. Voudrais faire des phrases complètes. Pas le temps.



Ce midi, power lunch avec Turgeon, puis rencontre avec l'agent de probation. La vie est une oeuvre de fiction.

24.3.03

Séance de prises de vue pour la maquette de Vacuum, au Bunker avec Denys Demers, puis l'ai emmené rencontrer Sophie Ginoux chez Trait d'Union. Rapporté les premières révisions du manuscrit. De l'ouvrage par-dessus la tête et j'adore ça. Reste à décoller Kevin de sa traversée de la Mer Rouge afin qu'on se mette à réviser les révisions.
Allé regarder les Oscars chez Jean-François, qui avait préparé un pâté chinois géant pour l'occasion. Étrange soirée: 3 500 glitterati assemblés les fesses serrées, plus Michael Moore qui leur en a mis plein la gueule.

23.3.03

À force de s'auto-censurer, les médias US commencent à manquer de jus. Al-Jazeera montre morts et prisonniers de guerre états-uniens, et Rumsfeld se lamente: «C'est contraire à la convention de Genève d'exhiber des prisonniers de façon humiliante!» Celui-là, il me tue. Pendant ce temps, un soldat US lance trois grenades sous autant de tentes de son propre camp, et on n'en parle pas, sinon pour suggérer qu'il se serait converti à l'Islam.
Le docteur Goebbels bande dans sa tombe à l'idée de disposer d'un outil de propagande comme CNN. Le jingoïsme télévisé, l'hybris en pixels: se taper une érection par-delà le décès.



Maudits pédés d'États-uniens, armés jusqu'aux dentiers, tirant sur du sable et appelant ça une guerre. «Coalition tanks fire at iraqi troops!» Fuck your blasted soul, cette coalition, ce n'est que vous et les Britishs, pédés et descendants de pédés, hooligans et sauvages et brutales créatures.

22.3.03

Aujourd'hui, Kevin a vingt-cinq ans. «Un quart de siècle, soupire-t-il en contemplant rêveusement le plafond; comme si le siècle était toujours possible!» Lui ai offert une biographie de Napoléon et un réveil-matin. Il entend fêter ça tout seul en écoutant de la musique classique.
Couché tôt, enlacé à ma rage de dents. Essayé de joindre Steve, mon pharmacien, au téléphone. Une musique d'enfer tonitruait derrière. «Chu dans un isoloir avec une danseuse!», il a hurlé en riant. J'ai raccroché.

21.3.03

Kevin arrivé tout chic, après une journée de peinture. À cinq heures et demie, ses clients ont fichu poliment le goy dehors. Le voici cravaté et vestonné, expérimentant un noeud de Fink, élaboré par un mathématicien à l'aide d'un ordinateur. Lui a fallu des heures pour le maîtriser.
Levé à seize heures. Mal aux cheveux. Faut croire que l'opération «Choc et stupeur» m'endort. Hier, manqué mon rendez-vous avec l'agent de probation: glissé sur une plaque de glace. En ai profité pour rencontrer clandestinement quelqu'une qui m'est très chère.

20.3.03

Cette guerre, cette razzia, cette opération «Iraqi Freedom», quiconque prétend qu'elle ne l'arrange pas au moins un peu ment effrontément, ou par pure ignorance des avantages qu'elle lui procure. Les morts Irakiens, ceux de ce matin et ceux qui mourront demain? Ils crèveront en croyant défendre la patrie. À bon droit, d'ailleurs, car c'est bien ce qu'ils font: ils font preuve d'héroïsme dérisoire, la plus noble forme d'héroïsme qui soit, et d'héroïsme patriotique conditionné, la forme la plus débile.



Moi, ce que j'y gagne, c'est un alibi. J'étais sur le point de m'éprendre d'une fille qui n'a pas le temps, qui habite au diable vauvert et dont le coeur, offert sans prudence, a été cavalièrement malmené. «Malcommode!», me disais-je, imaginant cette relation; «Investissement à fonds perdus! Grave responsabilité!», me martelais-je dans le crâne en ignorant le reste de mon corps, coeur y compris, sans parvenir à me convaincre tout à fait d'oublier ça.



Mais voici que cette guerre, cette razzia, cette opération «Iraqi Freedom» remet les choses en perspective: comment décemment songer à ça cependant qu'on agresse en mon nom et contre mon gré, alors que pour une fois je partage l'avis de la majorité de mes contemporains... Sous tous les horizons hormis celui sur lequel flottent cinquante étoiles impérialistes et despotiques, des populations hétéroclites de bonne volonté ont marché contre, apparemment en vain. Toute ma vie intellectuelle, j'ai milité artistiquement pour un rapprochement avec l'américanité qui est notre héritage au même titre que la francitude. Je prônais, je suppose, comme le Voir sous Barbe, puis Martineau, puis le petit nouveau, qu'il n'est pas si grave de se faire enculer si ça ne fait pas mal et qu'on reçoit la protection de l'enculeur et que l'enculeur ne s'en vante pas. Ce qui m'a transformé d'allié en dénonciateur enragé tient sans doute beaucoup à cette arrogance boursouflée du pouvoir qui s'annonce et se nomme et n'éprouve plus la moindre trace de honte. Le pouvoir du barbare, du taré, de l'inculte, cette insulte et ce défi à l'individu qu'incarnent désormais les États-Unis d'Amérique. Le déclin de l'empire ne s'est pas amorcé avec Nixon, ni quand Truman a largué Fat Man et Little Boy dans le cadre d'une guerre aux enjeux humains majeurs. Le déclin s'amorce au pinacle, de la même façon qu'un virage à droite survient à la fin de virer à gauche ou d'aller tout droit. Et cela, c'était hier soir, quand l'empire a agressé un pays qui ne l'agressait pas pour prévenir une future agression. Même Tony Soprano n'agit jamais ainsi; non pas qu'il soit un ange, mais il sait que ça nuit aux affaires, à long terme. Quand les gangsters mafieux, dont l'organisation est modelée sur les structures de l'empire romain, font preuve de plus de clairvoyance que le gouvernement états-unien, alors rien ne va plus. Et qu'on ne vienne pas m'objecter que Tony Soprano est un personnage de fiction créé de toutes pièces dont chaque phrase est scénarisée, alors que George Bush, lui...