12.7.02

Kevin avait acheté un billet de 6/49 pour l'anniversaire de Steve, lundi. J'ai oublié de le lui donner. Tantôt, en file au dépanneur avec ma quille et mes tubes à cigarettes, je l'ai retrouvé dans mon portefeuille. Je l'ai tendu au kid Laotien pour qu'il le passe dans la machine de Loto-Québec et celle-ci a émis un drôle de bruit, une trille, une harmonie bizarre. J'avais gagné dix dollars. Je suis sorti du dépanneur avec plus d'argent qu'en y entrant. J'ai appelé Kevin. Il est habitué à gagner aux jeux de chance et de hasard. Moi, ça ne m'était jamais arrivé, sinon par procuration. «Je conserve ta part au chaud», j'ai dit, mais il m'a enjoint d'en faire ce qui me plairait. Alors j'ai fait ma lessive. Converti tout ce fric en piécettes et entrepris de laver mon linge. À cette heure, sept étages sous moi, deux engins de plastique chaud brassent mes frusques et en expriment la puanteur d'une vie pleinement vécue. Dans une heure, ces sous mal acquis serviront à sevrer les sécheuses. Une heure de plus et je serai à nouveau un salaud chic & swell.
Franz Liszt valait la moitié de l'Ukraine aux yeux de la princesse Caroline Sayn-Wittgenstein. Suis-je moins génial ou séduisant que Liszt, et que vaut l'Ukraine, et y a-t-il encore des Carolines?
J'avais quatorze ou quinze ans quand j'ai conçu le projet d'un grand livre, un cycle sur les sources de ma famille, en commençant avec Marin Boucher et qui descendrait jusqu'à Hector. C'était dans la mouvance de Racines, qui déclencha la folie des recherches généalogiques, et j'avais choisi comme titre Origines, et je me croyais très fûté.



Au cours des années, j'ai mis ce projet de côté jusqu'à quasiment l'abandonner. J'ai recyclé le titre de deux ou trois façons, car je suis comme je suis, tête dure et coeur mou, et je n'imaginais aucun repos tant que cette maison ne serait pas habitée.



Le canal D annonce une série intitulée Origines pour l'automne. Procrastination, quand tu nous castres...
Hier, 16 heures: Kevin arrive du boulot, s'écrase avec un six-pack de Bolduc, l'air ahuri. Au bout d'un temps: «Je commence à comprendre le caractère aliénant du travail physique. J'ai connu des tas de gars en qui je devinais une intelligence, aigüe parfois, pourtant après une journée à s'échiner au soleil, ils n'avaient plus envie de rien, rien d'autre qu'une bière et un fauteuil profond...» Gorgée. «Faut que je me force à lire mes trente pages par jour...» ajoute-t-il, désorienté.



-Ma foi, dis-je, c'est peut être vrai, je ne saurais dire, vu que j'ai jamais rien foutu de ma vie. Mais se pogner le cul aussi, c'est aliénant. Tu sais ce qu'on va faire? On va faire une tarte aux pommes!



Et on a fait une tarte aux pommes. Ça l'a réveillé, il a décidé d'aller acheter deux gros homards des Îles et une bouteille de vodka. Mario, venu emprunter du tabac, est arrivé juste à temps pour partager notre repas et on en a fait une cérémonie à la mélancolie de notre ami, qui nous a appris avec un enthousiasme sensible à dépecer l'exosquelette pour en extraire jusqu'aux plus infimes parcelles de chair rose. Puis, Mario a lavé la vaisselle et on a écouté des chansons tristes. C'était très réussi. Le homard et la tarte aux pommes maison présentent un caractère singulièrement désaliénant.

11.7.02

Je jase, je jase: entre nous, je n'écris rien qui vaille. Mes femmes trouvent mes fringues douteuses et ma vision impénétrable. Or, j'ai un livre à livrer à VLB pour les Fêtes, et si j'échoue, c'est foutrement plus qu'une avance de 500$ que je lui devrai, c'est une poignée de main et mon chapeau, mon feutre noir, mon plus précieux...

10.7.02

Kevin venu boire avec moi, chercher des mots dans les livres, crever savamment quelques tripes du temps qui passe. Lui ai dit: «Marie, qui ne t'a jamais rencontré, trouve que tu es le personnage le mieux dessiné dans ce Journal, dont je veux faire un livre.»



Kevin: «Moi aussi! Je me disais justement, en le relisant, que mes monotypes et ma peinture industrielle, c'est conséquent, c'est toujours moi, je veux dire que ma vie et mes choix ne sont pas aussi absurdes qu'ils m'apparaissent parfois! Faut vraiment que je sois tordu profond, tu trouves pas? Je veux dire: on vit pratiquement de façon contigüe et je corrige ta grammaire pendant que tu prends en note ce qui te fait flasher dans notre existence; même quand t'inventes mon dialogue, je rechigne pas, mais enfin, y a littéraire et littéraire...

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N'est-ce pas joli? Ma soeur Em a signé ainsi son dernier mail ce soir. Si on est soûl et couché sur le côté, ça ressemble tout à fait à une rose trémière. Les Mistral ne se satisfont pas d'émoticons ordinaires.



Sauf que, cependant qu'elle séduit à distance le sinistre Pastis, qui lui cause de Bukowski, je lui déniche cette image de sa pierre tombale, admonestant Don't try:

buk.jpg

Et je lui demande d'essayer encore. Parce que c'est Em, ma chair, mon sang, ma puce, parce que Buk ne savait rien de rien qui puisse ou doive la toucher, pas maintenant anyway.
Retour de la vallée du Richelieu. On offrait tout un show, Marie-Jo et moi, à quatre pattes sur la tombe de grand-père, cherchant des traces de thym. Je venais de renoncer quand elle en a débusqué une touffe et, pour me prouver qu'il s'agissait bien de ça, me l'a frottée dans le creux de la main, libérant le parfum. La tradition était sauve.



À la chocolaterie, on dégustait dans le jardin quand mon cellulaire a résonné. C'était Mario, fort alarmé, qui souhaitait me prévenir que mon site affichait soudain plein de caractères chinois. Je ne m'en suis pas trop fait. Ce n'est pas la première fois que ça lui arrive.



J'ai rendez-vous avec du chocolat, et j'ai déjà mal aux dents. Coïncidence? I think not.



Éric est passé hier soir. On a regardé The Sopranos en se marrant au spectacle des impatiences de Richie Aprile. L'art de sauter une coche, deux, trois...

9.7.02

Pauvre sens et pauvre mémoire

M'a Dieu donné, le roi de gloire

Et pauvre rente

Et droit au cul quand bise vente

Le vent me vient, le vent m'évente

L'amour est morte

Ce sont amis que vent emporte

Et il ventait devant ma porte

Les emporta




Rutebeuf (1230-1285)

La Complainte (extrait)
Marie-Josée vient de me fixer rendez-vous pour demain matin onze heures: on va faire un tour à Saint-Marc sur la tombe d'Hector, où on avait planté du thym il y a deux ans. Au retour, on fera un croche par La Cabosse d'Or à Saint-Hilaire et on savourera le meilleur chocolat du monde en regardant les yeux des petites filles qui lèchent leurs cornets de crème glacée au fudge.
Généré quelques nouvelles entrées pour Proverbes.
Mario récupère son imprimante. J'en ai jamais eu avant, maintenant je me demande comment je vais m'en passer.
Courriel de Justine:



Where the fuck have you been baby? that's a funny game!

1. un ami t'a invité pour quelques jours dans une maison de campagne cossue

2. chez ta nouvelle maîtresse

3. dans mes pensées

4. peinard au bunker mais tu fausses les pistes

5. dans un garden-party

6. à new york




Elle est craquante, cette cocotte-là.
Passé chez Jean Coutu faire traiter mon rouleau de film. Ils offrent une option Excellence qui est ni plus ni moins que l'ajout d'un cadre blanc autour des photos, comme il y a trente ans. Mario et Kevin se sont livrés à des expériences avec la caméra et moi comme modèle. Dans le but d'obtenir un cliché de «l'écrivain en situation d'écriture». À suivre.



À part ça, eh bien, je dégivre mon congélateur.
Deux jours de congé, à lire et dormir, n'étaient pas un luxe. Cette femme n'a rien de mieux à faire depuis quelques week-ends qu'inventer des moyens de me foutre en rogne. Cette fois-ci, c'était l'effacement systématique et stalinien de toute référence à mon existence dans son Journal public. Plus ses protestations d'innocence et la ridicule attribution de cet enfantillage à un mystérieux piratage. Finalement, poussée dans ses ultimes retranchements, elle a changé de tactique et revendiqué son bon droit. À vomir. J'ai tout débranché, le temps de me refaire une humeur.

6.7.02

Mario s'est joint à nous pour la séance cinoche.



L'autre soir, juste avant de se faire expulser du Café Central avec son chum Eddie, Kevin est tombé sur Éric Drouin qui l'a chargé de me transmettre un message. «Quand ma mère est morte, je ne m'en serais pas sorti sans Christian.» À la question de savoir pourquoi il ne me le disait pas lui-même, Éric a répondu que ça le plongerait dans l'embarras. Alors voilà, c'est fait. De rien, Éric.
Kevin m'a proposé par courriel une journée bière/cinéma (il veut voir Un homme d'exception en VHS). C'était si foutrement original que je me suis empressé d'accepter. Vais aussi essayer de trouver Rue de la sardine, d'après Steinbeck.
Dans une heure, on met en vente les billets pour le show de Supertramp au Centre Molson. Je n'ai jamais de ma vie assisté à un concert rock, mais si j'avais du pognon, j'irais voir et entendre celui-là. J'irais me replonger pour une couple d'heures dans les affres et les délices de mon adolescence glorieusement torturée. Retrouver en pensée les visages des filles aimées qui ne m'aimaient pas, et celui de celle qui m'aima. J'irais, faire la file en ville pour acheter un billet, un seul, parce qu'on est toujours seul avec son passé. Le passé, c'est donc aussi du luxe, faut du pognon pour se l'offrir.

5.7.02

Ce week-end, les flics de Virginia Beach inaugurent leur nouveau joujou: un réseau de caméras reliées à un système de reconnaissance des traits. Comme de juste, les plaisanciers y vont des âneries habituelles proférées chaque fois que Gros Frère enfle davantage: «I think it's a good idea!», «If it's there to protect us, I'm all for it!», et la classique «If you're not doing anything wrong, then you've got nothing to worry about!»



Tas d'infâmes faquins. Chair à dictature.



La banque de données contiendra, outre des faces de "terroristes", les fiches anthropométriques bertillonnées de fugitifs et de fugueurs. Fugueurs, c'est à peu de chose près ce que nous étions, Nat's et moi, quand nous aboutîmes à Virginia Beach en juillet 1981. S'ils avaient eu ce système-là, on ne se serait pas mariés. On n'aurait pas non plus conçu notre fils une nuit tiède sur la plage.