Je termine une séance de photos avec Pedro Ruiz pour la une du Cahier Livres du Devoir du 3 juillet. A transformé le Bunker en studio. Immigrant récent, sympathique et touchant. «Pourquoi on dit vous écrivain controversiou?»
Pour écrire Sylvia au bout du rouleau ivre, juste avant Vamp, je m'étais fortement inspiré du format et de la structure d'un magnifique petit livre, Voyage en Irlande avec un parapluie, signé Louis Gauthier, un auteur que je n'imaginais pas alors rencontrer un jour, encore moins qu'il deviendrait un ami. Hier, après toutes ces années, quand Louis est venu me chercher avec sa Volks maganée, je suis resté stupéfait de découvrir, sur le plancher du côté passager, un parapluie...
On descendait à Trois-Rivières. Là, au bar Zenob, Réjean Bonenfant avait organisé une soirée Tape dans le dos pour Guy Marchamps, dont la librairie de livres d'occasion, baptisée Histoire sans fin, déclarait forfait après six ans d'encre rouge.
Ç'a été une chouette émouvante petite soirée. J'ai lu l'extrait de Vautour qui met en scène GM sous le nom de Guillaume Arcand. Judith Cowan a livré deux pages, traduites par ses soins, tirées du dernier livre qu'elle a acheté chez Guy: un recueil de récits publié en Inde dont l'un portait sur un libraire qui ne vend rien. Bonenfant avait conservé des écrits de son ancien élève, dont un vigoureux poème rédigé sur un rouleau de papier-cul. Daoust a lu un manifeste poétique et chanté Going to the Ritz en amorçant un effeuillage. Boisvert m'a rappelé sur scène pour lire avec lui son texte en croisé. Quelqu'un a donné, de Marchamps, le merveilleux Poème d'amour à l'humanité.
Le plus romanesque, le pas croyable, c'est quand cette jeune femme s'est amenée au micro, son bébé de trois mois buvant sec à son sein. Bar ouvert. La jeune femme a expliqué comment elle avait rencontré le père à la librairie, trois ans plus tôt. Lui, cependant, prenait des photos de nous tous. S'appelle Michel. A lu au micro à son tour, annonçant qu'il reprendrait le fond dans un sous-sol trifluvien. Y en aura d'autres plus jeunes plus fous pour faire danser les bougalous!
Vers une heure du matin, juste avant de rentrer à Montréal, Louis et moi sommes repassés par la librairie. Guy y était, errant à la lueur d'une veilleuse, avec Hélène Gauvin qui retenait ses larmes. Ça sentait bon le tabac à pipe et le papier vieux.
Beau texte de Tristan Malavoy-Racine sur Fontes dans le Voir d'aujourd'hui. Et parution du second chapitre de Goth dans le Ici.
Antoine, ce beau fou, a coupé dans son budget de Guinness pour me réserver un nom de domaine. christianmistral.com est désormais en ligne, de même que christianmistral.com/blog. Bref, j'ai été proprement et gentiment dotcomisé par un Grec apportant des cadeaux. Merci, brother.
Je me suis toujours promis de ne pas devenir l'un de ces blogueurs qui se lamentent publiquement sur leurs aléas de serveurs (Vidéotron). Là, ça rase...
Sois patiente, ma Tribu magnifique et bien-aimée: nos affaires vont bientôt s'arranger. D'ici là, j'ai patenté ce lieu de fortune avec de la colle, de la ficelle, du carton et de la gomme balloune.
I really don’t feel so good and I’m not quite sure why. It’ll pass, it always does. It’s as if my chemical balance was all fucked up. I’m sad all the time and I’m mean like a starving chained dog. I see K & C being so happy together and taking care of me after I took care of them and I get mad at you and me for being apart, and then I don’t care, and I worry about stupid things, careerwise, and I’m depressed because I pedal in oil and peddle in art, all that jazz, life leaves a bad taste in my mouth these days, that’s all, nothing more. So I guess what I want to say is: I love you, of course, but I’m not good for much these days, I don’t care about shit and I hope you’re OK.
On dit ça du roman. Je le crois. Mais ce n'est pas tout de l'affirmer, il faut sans repos le prouver. Je suis stupéfait du nombre d'autorités culturelles qui s'emploient toujours à démontrer ce que le roman n'est pas, ne saurait être. Stupéfait et fouetté. Ce chantier va donc migrer sur-le-champ, voire sur le pré si nécessaire. On va leur faire voir ce qu'un roman peut devenir. Quelques phrases à la fois, sans se presser. Vous venez?
Ah! j'oubliais: trente-huit secondes après votre arrivée, vous serez automatiquement et confortablement redirigé vers la nouvelle page. Ça se fait tout seul! On n'a qu'à admirer le paysage et se laisser aller...
L'immémorial jeu de la séduction (jeu comme langage, économie, négociation, rituel, procédure de mise en présence, astuce de la nature...), ce jeu si sérieux qu'on en meurt parfois depuis toujours, et dont les règles sont immuables comme le pas de la valse viennoise: ce jeu ne change qu'en apparence d'un âge historique au suivant. On danse sur Johann Strauss, en redingote ou en Levi's percés aux genoux, exactement de la même façon. Aujourd'hui, la séduction passe aussi par un réseau de fibre optique, ce qui n'empêche pas l'amour de demeurer obstinément aveugle, bien au contraire. Les gazettes n'en ont que pour la dimension sécuritaire du sexe que procurerait le Net dans un monde d'infections génitales. C'est absurde. Le sexe ne sera jamais sécuritaire, même tout seul, pas tant qu'il se passera dans la tête. Les gazettes ignorent l'évidence que les coeurs et les imaginations ne sont pas protégés dans le maëlstrom des passions cyberspatiales, qu'ils sont exposés comme chairs vives à tous les fantasmes indisciplinés comme à tous les maux de vivre et que l'âme libre qui navigue ainsi dans le noir n'a de pire prédateur qu'elle-même. Les filles et les femmes qui disparaissent après avoir rejoint leur correspondant font la manchette, mais on ignore les légions, mâles et femelles confondus, qui ne sont ni fous ni mal-intentionnés, qui ont le coeur pur et douloureux ou seulement lourd, ces gens bien qui se rencontrent dans le vacuum électronique et prennent un verre symbolique et s'entendent à merveille et se plaisent et initient sans le savoir l'immémorial jeu de la séduction, sans songer à mal et savourant leur bonheur croissant, et laissant ce jeu sérieux échapper au contrôle du sens commun, jusqu'à ce que leur vraie vie ressente les approches de leur existence virtuelle et montre les dents pour défendre ses droits. Vieux conflit, forme neuve. Peine intemporelle.
J'ai deux amis dont je prie pour qu'ils se ressaisissent. Je prie, façon de parler. Faudrait encore avoir la foi, même pas en Dieu, mais au moins dans la capacité des gens de se gouverner eux-mêmes.
Dans un coin du Bunker, trois mètres devant moi, une créature a tissé une toile épaisse qui n'y était pas ce matin. De la taille d'une crêpe, je dirais. Ou d'un océan de colle, du point de vue de la proie qui s'y prendra.
Le chaos sirupeux de la semaine dernière m'avait comme englué le souffle, celui de gémir aussi bien que celui de pousser par écrit de grands soupirs de soulagement. C'est pourquoi, dans cette dernière catégorie, j'avais négligé d'évoquer le passage de Guillaume, et pourquoi je n'ai pipé mot de celui de Jean-François, mon cousin Moran, venu avec sa guitare me présenter notre chanson-fleuve, sans refrain ni couplets, juste un récit ni léger ni triste que fait un homme à ses fantômes aux environs du last-call, qu'il se dédie à lui-même. En l'occurence, la première a eu lieu en haut, chez CGDR, après les feux d'artifice. On était trois à l'écouter, et on tremblait. D'émotion, de plaisir. En profondeur. Pour moi, c'était la rarissime expérience d'éprouver mes mots comme s'ils avaient été rédigés par un étranger, de les ressentir comme pour la première fois, de m'imaginer vierge. Parce qu'un an avait passé depuis que j'avais écrit ça sans le relire, mais surtout grâce à la mélodie, la voix, la respiration, en un mot l'interprétation au sens propre, qui donne une tierce dimension aux mots comme la levure anime le pain. C'est seulement en ces inestimables instants que je peux comprendre (fugitivement) ceux qui me disent doucement l'effet de mes phrases sur eux, sur telle ou telle portion de leur aventure personnelle. Le reste du temps, l'artiste est condamné à demeurer le seul être au monde incapable de découvrir son oeuvre sans idées préconçues, de bénéficier de la surprise, de jouir d'un concours de circonstances, d'aborder ce qu'il offre avec une conscience étale, et rase, et fraîche. C'est là une ironie vache à vomir, un canular comico-sadique, une joke du Bon Dieu, dont on reconnaît d'emblée le style: l'architecte peut concevoir sa maison, la bâtir, l'habiter, l'ébéniste peut construire son lit et s'y coucher, mais l'écrivain lit tous les livres sauf les siens, et le chanteur ne reconnaîtra jamais sa propre voix, et le peintre n'oubliera pas la peinture sous la peinture. Good one, Bon Dieu. Real funny. You're a funny guy. I'm about to shit my pants laughing so hard. I'm about to bust a goddamned gut.
Mais je digresse big time. La guitare, donc, JF, il vient d'apprendre à en jouer. Un an d'efforts, et la corne à la pulpe des doigts pour le prouver. Avant, à vingt-trois ans, il s'était mis au piano. Apprendre le piano à vingt-trois ans. Quand je vois ça, c'est fatal, je m'apitoie sur mon sort: est-ce ma faute si je suis un fainéant doublé d'une tête de mule triplé d'un couard? Guillaume, c'est chaque mois qu'il apprenait quelque chose de neuf: une langue, un instrument, un rituel, un sport, une technique, une cuisine. Heureusement, ça ne retenait jamais longtemps son attention et je pouvais m'imaginer qu'il manquait de focus. Mais au fond, je savais ne pas pouvoir souffrir la comparaison en cas d'examen approfondi: j'étais, je suis une bête de somme munie d'oeillères et satisfaite de trotter dans son pré en broutant du trèfle et des champignons magiques. Le vaste monde et ses langues, ses instruments, ses rituels, ses sports, ses techniques et ses cuisines ne m'intéresse pas. Je n'ai de goût que pour les mots par lesquels on identifie tout ça, en français: les mots dont je peux me servir. Leur orthographe, leur étymologie. A quoi tout ça ressemble, à quoi ça sert, grosso modo mais rien de plus. Comme on disait à Saint-Marc, tu vas pas chier loin avec ça. C'est peut-être pourquoi je vis à un jet de salive de l'endroit où je suis né.
Anne Archet dessine des trucs froids et précis, noirs presque bleus et luisants comme les cheveux de Mandrake dans les vieux comic books, ce sont des mondes symboliques pleins d'espace entre les objets durs et les corps masculins surtout masculins seulement peut-être sont démontés en morceaux et la tragédie débilitante du monde que nous faisons crie de partout sans se plaindre, dans ces dessins. Et je me dis, voilà: cette femme qui écrit si magnifiquement et qui est une authentique libertaire dans sa chair, elle sait dessiner ce dont ce monde a l'air à ses yeux, ses dessins disent pourquoi elle a choisi la poésie et l'anarchie. Moi, en revanche, je n'ai aucun moyen d'écrire pourquoi j'écris. Parce qu'il est impossible d'utiliser le même outil sur la même matière pour décrire deux étapes fondamentales du développement d'une même personne, quand le tenant est la sensible absence de l'outil en question et l'aboutissant l'apparente utilisation de cet outil dont on prétend pourtant qu'il est absent. Un autodidacte célébré pour sa maîtrise du langage peut-il, avec le moindre espoir de convaincre, exprimer le drame de l'ignorance structurelle de sa génération? Et dénoncer la sienne propre, s'il songe à tout ce qu'on a criminellement négligé de lui enseigner? Peut-il avec succès alerter ses contemporains à l'urgence d'agir alors même qu'il semble incarner à lui tout seul l'inexistence du problème qu'il soulève? Toute son éloquence ne servira qu'à dissimuler l'agonie de l'éloquence. Ultimement, la logique exigera qu'on ne sache plus parler pour persuader autrui des périls que court la parole, qu'il ne sache plus nous comprendre, il faudra perdre le lire et l'écrire pour qu'un illettré adresse à un autre une missive bien sentie s'inquiétant du cours des choses. Absurde à un bout, absurde à l'autre et sans substance au milieu: ce fil de réflexion me contraint depuis longtemps, aussi sûrement qu'une chaîne soudée à un piquet planté dans un champ, quand elle mène à un collier coulant qui ceint le cou d'un grand chien jaune. Je suis ce chien qui tourne en rond, l'herbe pâlit puis disparaît sur son circuit, ça devient fou un chien comme ça, je le sais bien j'en ai eu trois. Fou d'ennui, mais fou surtout de confusion. Il comprend pas qu'on lui fasse ça. Il comprend pas qu'on le tue pas, qu'on l'attaque pas franchement, qu'on lui laisse pas la chance de surmonter sa nature aimante et coopérative pour se défendre et crever digne. Ca, c'est le chien. C'est con, un chien. Un homme, c'est sans excuse.
Semaine dernière. Guig débarque avec son portable, un Mac G4 monstrueux de puissance. Pour quelques heures, cet engin est devenu le coeur palpitant du Bunker. Son propriétaire a réquisitionné mes haut-parleurs pour les débrancher de Memory Babe (mon ordinateur) et les relier à Capharnaüm IV (le sien), et ce truc s'est transformé en juke-box de salle de danse de terrain de camping en 1973. Puis, et simultanément, Guig a enclenché le logiciel de montage vidéo et ce truc s'est transformé en studio de post-production: tout le film des Fêtes à Saint-Placide a défilé, clip après clip fondus ensemble sans trace de couture et le plus léger pesait 250 mégaoctets. Puis ce truc s'est transformé en album de photos à faire pâlir de jalousie la bibliothèque d'Alexandrie. Puis ce truc a fait place aux cent premières pages du roman en chantier, et j'ai pu m'asseoir pour les lire, Guig sirotant une Heineken à côté. «Tu te souviens, j'ai dit, quand tu m'as montré Memory Babe la première fois? Il s'appelait encore Capharnaüm, en ce temps-là. Tu n'arrêtais pas de répéter, émerveillé: "Regarde-moi ce tracteur. Non mais, REGARDE-MOI CE TRACTEUR!" Hein, tu t'en souviens? Eh ben mon vieux, regarde-moi ce tracteur, aujourd'hui, à côté de ton char d'assaut...» L'espace d'un instant, j'ai presque cru le voir gêné, comme si c'était sa faute, le progrès. J'ai replongé dans son manuscrit, au titre selon mon coeur et à la gravité pleine d'humour et au ton juste à point et aux types masculins familiers et au personnage féminin poignant, dessiné comme une étude de Kevin, et je suis tombé sur une scène en flash-back qui se déroule au Grand Café, et cet après-midi, passant devant ce qui est aujourd'hui une succursale du Commensal, j'ai senti un subit moton m'éclore dans la gorge comme une fleur empoisonnée.
Memory Babe, indeed. Capharnaüm, indeed. Coeur palpitant, indeed...
Je sors de ces séances intensément satisfait. Ces cinq, six heures de suite, de temps en temps, que Mario et moi employons à réaliser un cyberprojet, lui chez lui, moi chez moi, liés par téléphone et par courriel, certes, mais surtout par une intime connaissance de nos esprits mutuels, si bien qu'il nous arrive de mieux communiquer dans l'absence. Face à face, je parle tant et avec tant d'insistance, et il abuse tellement de sa réserve naturelle, qu'il nous faut parfois dix fois le temps d'un simple échange désincarné pour arriver au même résultat. Son rire en moins, évidemment. On n'est pas des machines, et son rire me manquerait.
Marie-Josée, trop triste, ne voyait pas la pluie. Son nouvel amour virtuel lui avait adressé un Dear Jane e-mail. Elle est venue se changer les idées au Bunker, essayer d'y voir clair. Quant à MSL, elle a bravé l'orage pour venir récolter un complément d'informations et en vérifier d'autres. J'ai passé le reste de la journée troublé comme un ado.
Résolu de graves crises personnelles qui pourrissaient les derniers temps. Avec B, avec JC. La bonne volonté des gens de bonne volonté fait miracle.
Rengagé le Kid à mon compte, maintenant que j'ai les moyens et qu'il comprend un peu mieux les fins.
Pensée du jour: l'Etat prend des libertés avec vous. Les vôtres. Et l'Etat, c'est un peu vous. Une émanation de votre citoyenneté. Est-ce à dire qu'il ne s'agit que d'un transfert confidentiel de la poche gauche à la poche droite, une somme zéro? On ne garde pas la même chose dans la poche droite et dans la gauche, et l'une n'a pas à savoir ce que l'autre contient, à moins que l'inventaire ne soit régi par un cerveau totalitaire...
Dire sa vérité, écrit Mario dans son blog, n'est pas à la portée de toutes les bourses. S'il entend par là les couilles, que certaines sont molles et d'autres en plomb, j'abonde.
Il a le don de dégoter des sites étonnants, originaux, personnels. Et de lier aujourd'hui vers une liste de critiques assassines dont la lecture est supposée nous rassurer sur l'idiotie des critiques. Car seuls des monstres consacrés y sont éreintés, égratignés, étrillés, mis en cause. Peintres, écrivains, musiciens célèbres: la haine éclate en cent fleurs acides.
Or, sortant de tout lire, je me trouve soit d'accord avec les critiques, soit comprenant leur point de vue. En musique, je ne m'y connais guère. En peinture, un peu plus. Ce sont les traits littéraires qui me sont les plus familiers. Mais toutes ces estimations, à mes yeux, sont justifiées dans le contexte de leur temps ou du background de leurs auteurs. Sauf Zola. Ce qu'on dit de Zola pue la mauvaise foi. Mais c'est la seule notice de ce genre que j'ai repérée. Le reste se défend. Quand Balzac dit de Stendhal qu'il écrit mal, qui le contredira? Faudrait être au moins Balzac. Ce qu'on occulte constamment, c'est l'évidence: les critiques en révèlent davantage sur eux-mêmes que sur l'objet de leur étude.
Ca les désoriente et ça les fâche, mais bon: Je n'aimerai plus jamais ceux que j'aime jusqu'à les laisser tenter de m'abolir, jusqu'à leur permettre de pondre leurs oeufs dans ma musculature, jusqu'à les autoriser à grimper sur le dos de mon ombre pour s'épargner des fatigues.
Surtout ne pas voir là une décision subite, qui m'aurait prise plutôt que le contraire, ce soir dans l'oeil d'une tempête sentimentale, chocs et chagrins confondus. C'est une politique élaborée au fil des ans, des expériences, des raisonnements: je m'y tiens depuis longtemps, et davantage chaque jour.
J'avais, fut un temps, bon coeur, et j'étais coulant; j'ignorais la propriété, j'entretenais un constant feu vrombissant dans le foyer de mon regard et j'applaudissais comme un enfant au moindre signe d'intelligence et de noblesse et d'humanité généreuse. Aujourd'hui que mon innocence est en sang, on m'accuserait de l'avoir moi-même assaillie. On n'y serait pour rien, on n'aurait pas été témoin, on passait la soirée au ciné avec le reste du monde entier.
Il s'est fait ça tout seul, c'est sûr; d'ailleurs, il a un dossier d'agressions long comme le bras de la justice. Il prend de la drogue. Il boit de la bière. Il fume. Son innocence, il a dû la violer à la pointe du couteau, puis la laisser pour morte. Qui d'autre aurait eu intérêt à lui faire un mauvais parti? Qui d'autre que lui?
N'aimer rien ni personne, sûr, c'est se sauver bien des soucis. Ca va sans dire, et cependant: à seize ans, j'envisageais ma vie sous cet angle stoïque, soutenu par mes lectures extistentialistes. Puis j'ai senti le danger de passer à côté de l'essentiel, et je me suis dénudé la poitrine, exposant mon coeur, et je me suis insinué dans la jungle humaine, poings serrés mais tête première.
Beaucoup d'eau s'est vendue en bouteilles, depuis. Comme Alice, j'ai vécu de part et d'autre du réel. J'ai appris autant de choses qu'il s'en trouvait dans l'entrepôt du regretté Charles Foster Kane. Pourtant, comme lui, j'ai perdu l'important, oublié la formule fondamentale, you can't go home again et je n'ai ni les mots ni la façon pour communiquer avec mon garçon. Ni ma mère, ni mes soeurs, ni mes blondes, ni mes meilleurs amis. Toute une vie à cultiver les ressources du langage, et aucun progrès notable à signaler. Oh, je sais désormais émouvoir, et inciter à réfléchir, et susciter des plaisirs esthétiques. Ce n'est pas rien, et j'en suis fier. Mais transmettre, exprimer, me faire comprendre, j'en demeure incapable aujourd'hui comme aux pires instants de mes quatorze ans. Annie dit que je suis un écrivain fini. Elle a tort. Je n'ai jamais commencé. Pas encore. Sur ce plan particulier, les vingt-cinq dernières années de ma vie, ce panier dans lequel j'ai placé tous mes oeufs, sont un échec.
Demain matin, j'essaierai à nouveau.
L'émission Francs-tireurs, Télé-Québec. Le Martineau s'indigne du commerce des faux diplômes disponibles par Internet. Pourquoi son compère Ben Dutrisac ne se penche-t-il pas sur les certificats de maîtrise en Lettres décernés par Gatien Lapointe à l'université de Trois-Rivières des années 70 jusqu'au début des 80? Et s'il débusquait quelques dizaines d'imposteurs enseignant toujours la littérature dans les cégeps aujourd'hui?
A l'époque, ces escrocs se déplaçaient ensemble deux fois par mois dans ce qu'ils avaient baptisé «l'autobus à Gatien», allant faire acte de présence en Trifluvie et rendre hommage aux pieds du gourou; aucune assiduité aux cours n'était requise, et en guise de mémoire, pour la forme, s'agissait de déposer quelque chose, comme un poème gribouillé au dos d'un menu ou quelques paragraphes incohérents citant Barthes et Locke et que notre blonde avait rédigés en plus des siens tandis qu'on astiquait sa corvette. Gatien, il faut se le représenter pressé de promouvoir ses disciples avant son assomption: ils se disperseraient aux quatre coins du territoire national et répandraient la bonne parole de la poésie du corps et du moindre effort et du non-sens et de la poétique ignorance et de la divinité des femmes.
Ca a marché. Pour la plupart, ils sont toujours en place, inquiets qu'on les démasque et en même temps croyant presque en leur propre compétence frauduleuse.
Good fucking morning to one and all. Deux trois jours que je rédige des communications délicates comme l'égo d'un papillon, des textes dont le mécanisme fait passer l'horlogerie suisse pour de la construction de cabanes en bâtons de popsicles. J'ai l'esprit en feu (pour de vrai, et c'est très dangereux, c'est la fièvre et ça fait mal, l'esprit qui brûle, quand on le sent se consumer, quand ça sent le chauffé parce qu'il carbure à fond de réservoir sur l'odeur de lui-même).
Faut que je me détende un peu. Que j'écrive juste pour m'amuser. Voyons voir ce sur quoi je pourrais bien me défouler...
Tiens, ceci fera l'affaire.
Des groupes religieux jugent la question du mariages des gais trop importante pour être laissée aux seuls politiciens. C'est dans La Presse de ce matin, faute d'accord y compris, et c'est accompagné d'une photo de deux mecs qui viennent tout juste de se marier, on dirait bien qu'ils sont contents, on dirait pas qu'ils sont conscients des périls de l'amour promis, en fait on dirait surtout qu'ils viennent de gagner un procès, et c'est bien sûr un peu cela, sauf que c'est pas la même joie, c'est comme les gens qui viennent au monde à Noël, ils profitent jamais tout à fait de leur anniversaire, et je me demande de quoi, dans vingt ans, le couple conservera le plus vif souvenir: la victoire politique ou l'union de leurs vies.
Oui, bon, il paraît que les 8000 membres Québécois de l'Association des Eglises Baptistes et, on suppose, les milliers d'autres qui ne le sont pas, de concert avec les 800 membres de L'Association des Eglises protestantes évangéliques La Bible Parle, il paraît qu'ils ne sont pas chauds à l'idée que le gouvernement du Dominion s'adresse à la Cour Suprême pour faire avaliser, corriger, légitimer, bénir l'avant-projet de loi visant à élargir aux conjoints de même sexe la possibilité de se marier. Moi non plus, je n'aime pas ça. Chaque fois que les élus abdiquent leurs responsabilités en les refilant aux juges, je suis forcé de me rappeler que la démocratie est illusoire et qu'elle ne marche pas, que les gens sont des brutes épaisses et dangereuses, que, laissées à la volonté populaire, les questions de sodomie, d'avortement et de peine de mort auraient trouvé réponse en la pendaison d'Henry Morgentaler dans la cour de Bordeaux, cependant que des homos incarcérés pour raison d'amour, rassemblés au pied de la potence, auraient été forcés d'assister à l'ignoble besogne.
Mais ce n'est pas pourquoi les 8800 croyants syndiqués protestent, ni même parce qu'ils sont protestants. C'est parce qu'ils craignent un avis favorable de la Cour. Ils calculent: On n'accède plus à la Cour Suprême sans avoir fréquenté l'université au moins un peu, donc on est sophistiqué, donc on a l'esprit large, on a vécu en ville, on a lu des livres imprimés après 1952, on mange du fromage troué, on se lave quotidiennement les pieds, on fréquente des juifs à l'opéra, on est biaisé en faveur de l'autorité civile au détriment des édits de Dieu, on prêche pour sa paroisse laïque, à tout le moins on insiste pour respecter la Charte des droits, ce qui est presque du bolchevisme, imaginez, si les gens se mettaient à lire la Constitution, où irions-nous sinon en guerre civile! C'est farci de faussetés, ce torchon satanique, cette Charte maudite, cet instrument du malin, et laissé à l'interprétation d'une phalange de païens, fussent-ils attifés de toges Christian Dior, Dieu sait ce qui peut arriver!
Bien sûr qu'ils ne sont pas contents, les Ned Flanders de ce pays. C'est d'ailleurs leur droit constitutionnel absolu, qu'ils voient plutôt comme un devoir. S'ils s'en torchaient, comme la plupart des gens qui ne sont ni gais ni chrétiens fervents, ils ne seraient pas membres de ces associations. Ils feraient partie d'une ligue de bowling ou d'un club Kiwanis ou de l'Union des écrivains.
Ce qui m'agace, c'est la manoeuvre maladroite, le spin à cinq cennes dont on devine qu'il est le fruit d'un document de stratégie préparé par un ex-journaliste populaire en Gaspésie ou en Abitibi ou dans un trou quelconque et qu'on a mis dehors parce qu'il s'est fait prendre la main dans le sac de ristournes et l'autre entre les cuisses de Gina la fille du conseiller municipal. Il se sera réinventé en relationniste à gages, Can lie, will travel, il se sera improvisé Machiavel des pauvres, offrant des tarifs compétitifs à la portée du plus désargenté des lobbys wannabees, même celui qui représente 8000 Baptistes, à condition qu'il se résigne à coopter encore 800 évangélistes, même s'ils parlent en langues et manipulent des serpents, car il faut bien rassembler les cinq cennes pour le payer.
Il leur aura conseillé de mettre Yawveh en sourdine. Pas sexy, pas porteur, pas vendeur. Il leur aura dit que le moyen d'ameuter les passives populations est d'évoquer une menace moderne qui résonnera dans le coeur de chaque citoyen. «Le chemin de leur coeur, c'est la peur! Mais pas des orages de grenouilles ni des statufications en sel ou des malédictions divines pour cent générations: le monde n'y croit plus, ils rigolent quand on en parle; ça devient de plus en plus difficile de les effrayer, vous savez, faut être créatif comme le diable!»
Puis, ne trouvant rien d'assez épeurant, il aura ajouté: «Ou alors, vous les informez qu'on les prive de quelque chose! Même s'ils en ignoraient l'existence jusque-là, ils se sentiront volés de leur juste butin gratuit, ils rouspèteront, ils demanderont où est leur part de cette chose dont on a parlé à la tévé et dont ils ne se rappellent pas le nom! Je sais pas, moi, on pourrait dire qu'ils sont outrageusement dépouillés par de sinistres canailles de leur droit sacré de se prononcer sur tout et d'exercer leur influence civique et d'exprimer des opinions stupides sur des sujets auxquels ils ne connaissent rien.»
Il aura sans doute voulu savoir pourquoi l'Eglise catholique ne joignait pas sa voix à leur cause et son argent à leur argent. L'argent n'a pas d'odeur, pas même l'odeur de sainteté. On lui aura répondu qu'il n'y a plus de Catholiques en Nouvelle-France, même si on murmure que certains subsistent dans la clandestinité, maquisards de Jésus.
Ils auront approuvé ce leitmotiv: «La redéfinition universelle et historique du mariage ne peut être changée sans le consentement de la population canadienne». Ils passeront sous silence qu'ils se soucient du consentement de la population canadienne comme de la dernière chemise de Yasser Arafat, c'est-à-dire pas du tout. Elle a pourtant bien besoin d'attention, d'un blanchisseur et d'une ravaudeuse et d'un inspecteur du Ministère Palestinien de la gestion des déchets toxiques.
Le plan prévoit aussi que les pieux activistes se retiennent d'évoquer les commandements du Très-Haut, surtout à cause du mot «commandement», tombé en défaveur par un malencontreux effet de mode. S'ils pouvaient dire «suggestion» à la place, suggestion du Très-Haut, alors là ça irait, encore qu'une fois là, aussi bien ne pas tenter le diable et remplacer Très-Haut par Haut, juste Haut, Haut tout court: ça fait plus accessible, plus modeste, moins snob, les Québécois aiment leurs idoles humbles et simples, ordinaires jusqu'au délire, en fait le mieux serait de l'appeler Moyen, voilà c'est ça, faut adapter le message au marché: plutôt que «les commandements du Très-Haut», dites «les suggestions du Moyen». Du Très-Moyen, si vous voulez. L'important, c'est qu'il reste naturel, sans prétention, un dieu du peuple, quoi, qui ne se prend pas pour un autre, qui se mêle de ses affaires, qui est très généreux et gentil, qui nous reconnaît quand on le croise au dépanneur, un dieu pas compliqué qui nous ressemble, qui prend sa petite bière sur le balcon, qui passe les fêtes en Floride, qui est du bord de José Théodore.
Ces pauvres gens de si bonne foi sont au fin fond du désespoir. Ils écopent avec un gobelet tandis que le navire prend l'eau de partout à la fois. Le pont déjà est submergé, mais ces malheureux tentent toujours de sauver les mâts, croyant ainsi éviter le naufrage. Ils ne voient pas qu'ils ont déjà sombré corps et âme. La famille, la cellule clanique, cet immémorial rempart contre la tyrannie, a cédé sous les assauts bien avant le mariage gai. Se concentrer sur ça, ce phénomène périphérique, c'est pathétique. Ca trahit le désarroi touchant et la cécité convenue des derniers descendants de Luther. Le mariage de deux hommes dévaluerait le leur, j'imagine que c'est cela qu'ils craignent, sans s'admettre que le mariage ne signifie plus rien depuis trente ans au moins, et que les hommes, fifs ou pas fifs, n'en sont pas la cause. S'ils veulent vraiment attirer l'attention de Joe Blow dans son salon, qu'ils lui disent donc pourquoi il a soupé d'une pizza surgelée passée au micro-ondes, pourquoi il paie une pension alimentaire pour des enfants qu'il ne peut jamais voir, pourquoi son ex-femme travaille vingt-cinq heures/semaine au salaire minimum comme caissière dans une Caisse Populaire afin de ne pas se faire reprocher par ses copines et par les magazines de ne pas avoir de carrière, de ne pas être épanouie, d'être une misérable femme au foyer qui ne sait rien faire de mieux qu'élever ses enfants. Qu'on explique à Joe Blow pourquoi son petit gars lui arrache sa cigarette de la gueule quand il vient en visite, qu'on lui dise que c'est l'Etat qui est le vrai papa de cet enfant, même si c'est Joe Blow qui paie, que c'est l'Etat qui a les droits sur sa personne et sur son sang, que c'est l'Etat qui l'instruit, le façonne, lui inculque ses valeurs standardisées pour le bien de la communauté, et que l'une d'elles est le danger de fumer, et qu'il est correct d'arracher la clope des lèvres de ce vieux type qui se prétend votre parent. Dites à Joe Blow que le gouvernement le maîtrise, qu'il maîtrise son ex-femme, et son ex-fils, et la soeur aînée de ce dernier. Dites-lui que c'est pourquoi on a favorisé leur division. Qu'on n'aurait pu les asservir quand ils étaient ensemble. Dites-lui cela si vous voulez vraiment préserver le mariage, la famille, la liberté, la résistance. Ca fera autant d'effet que de pisser dans une flûte traversière, mais au moins vous aurez tenté quelque chose d'honnête et vous pourrez périr tranquilles en même temps que la civilisation que vous avez aimée.
«Le débat public n'a pas été fait. Les intellectuels et les scientifiques n'ont pas été consultés, n'ont pas pris la parole. Dans ce pays, on passe plus de temps à se questionner sur la couleur de la margarine qu'on peut en passer à redéfinir la notion du mariage», déplore le porte-parole du groupe.
Plein de marde. Depuis quand les Protestants se soucient-ils de consulter les intellectuels et les scientifiques? Ils font toujours à Darwin le même sort que les Catholiques réservaient à Galilée. Le temps est passé de redéfinir la notion du mariage. Elle s'est redéfinie toute seule, en s'éteignant paisiblement dans l'apathie béate de tous. Le chien est mort et ne reviendra pas. Faut l'enterrer dans la cour et s'acheter un poisson rouge.
«Quant au public, M. Lanthier perçoit qu'il ne réalise pas la portée du geste que s'apprête à faire le gouvernement.» Sans blague?
L'infâme projet progresse comme prévu, voire avec de l'avance sur l'implacable échéancier. Le sinistre et scientifique processus de subjugation des hommes, leur animalisation et l'organisation de la liberté rêvée par chaque tyran depuis Hammourabi. Le moyen, enfin, de dominer ce chien d'homme sans qu'il se tourne et te morde un jour futur. Le pouvoir sur l'être humain en masse, avec son approbation, avec son appui enthousiaste et résigné. L'esclavage plébiscité par les esclaves, la servitude désirée comme ultime triomphe de la civilisation. Le consensus de la sécurité qu'on érige en idole.
C'est un plan étalé sur cinquante ans, pour autant que je puisse en juger. J'estime qu'environ 60% de ce temps est déjà écoulé, considérant qu'on peut situer le début de sa mise en oeuvre peu après le Watergate. Sans un brutal désenchantement, suivi d'un cynisme viral, irréversible et proliférant, les conditions gagnantes du final assaut contre la nature humaine n'auraient pu être réunies. L'essence de la formule éprouvée si souvent n'a pas tellement changé, en fait: (c'est une formule améliorée, semblable en cela aux détergents à lessive miracle qui blanchissent vos sous-vêtements plus blanc que blanc, fût-ce à l'eau froide et lourde et sale, et malgré que vos sous-vêtements étaient imprimés de complexes motifs chinois aux vifs coloris et que c'est un cadeau de votre blonde et qu'elle va vouloir savoir où diable ils sont passés) infantiliser un peuple, récompenser son ignorance, le traire et le distraire et l'engraisser, puis lui instiller la peur, la terreur d'un péril extérieur indistinct, puis enfin lui offrir confort et protection en échange de sa liberté. Embellir les barbelés à grands renforts de publicité décérébrante: on ne change rien du tout à l'aspect matériel des barbelés, on vise plutôt à modifier la perception que l'homme en a, on lui martèle dans le crâne que les barbelés sont beaux, inoxydables, beaux, symboliques, beaux, made in Québec, une invention d'un petit gars de chez nous, mais vous ne trouverez son nom nulle part dans les livres, un sale Américain lui a volé son brevet à ce qu'il paraît, en tous cas ils sont beaux, modernes, déchirants, la Corée nous en achète, ça veut tout dire, ils s'y connaissent en barbelés les Coréens, et c'est vrai qu'ils sont beaux, c'est sans conteste les plus beaux barbelés du monde, des plus beaux j'en ai pas vus, et post-modernes par-dessus le marché, et en plus ils nous protègent contre le péril extérieur, et en plus ils sont beaux!
Avant d'implanter une puce d'identité dans le corps des humains, faut leur assouplir la colonne en faisant valoir comme ce sera utile chaque fois qu'ils se rendront à l'hôpital. Votre dossier médical tout entier contenu sur une puce de la taille d'un grain de riz, qui dit: «Dans le métro, sous une calèche ou devant une bétonneuse, ils pourront trébucher puis quitter ce monde en paix, sachant qu'ils se trouvaient sous la protection de l'Etat et qu'on identifiera leurs restes en peu de temps. Un accès rapide aux infos sur votre état peut sauver des vies! Songez-y: plus de portefeuille à traîner, plus de cartes encombrantes, plus de danger de se faire hold-uper en sortant d'un guichet automatique; l'argent est virtuellement enregistré dans votre bras, et la rumeur se répand jusqu'aux petits blousons de cuir du village voisin, aussi repoussants qu'ils sont ingrats, aussi ingrats qu'ils sont graisseux: ils ne vont pas vous agresser, sachant qu'ils ne vont rien trouver sur vous en cash, à moins qu'ils ne se fâchent et qu'ils vous tuent, on sait jamais, mais alors le coroner saura déjà votre nom avant de vous autopsier! C'est une question de dignité... C'est une question pratique... Prenez votre temps... Jouez avec l'idée, devenez son ami... La puce protège votre famille de ces anciens maux: Ne plus savoir son nom, oublier son portefeuille à la maison... Pouvez-vous vraiment courir le risque de ne pas vous rappeler votre nom, comme cela frappe un Américain sur deux? N'aimez-vous pas votre famille? Pour aussi peu que le prix d'une tasse d'eau de javel par jour, vous aussi pouvez vous faire implanter une puce d'identité et contribuer à la lutte au fléau que représente l'amnésie dite «de Cotroni» ou «Old Vic» (Ré: «M'en rappelle pus. Va fa enculo.», audiences de la CECO, pages 102 à 803, Annexes XI, XIII et MCMLII). Aidez-vous à nous aider à vous identifier. Tous ensemble, nous défendrons nos libertés chèrement acquises contre les Terroristes qui volent nos cartes de crédit pour louer des 747 armés jusqu'aux bancs et dès qu'arrive le Ramadan ils crissent leur camp on est pogné avec le bill. Notre philosophie est simple comme le gros bon sens de grand-mère: si on ne conserve rien de précieux à la maison, on n'attire pas les voleurs. Nous croyons que le même principe rafraîchi s'applique aux terribles temps que nous traversons aujourd'hui. Les terroristes nous encerclent, ils sont partout sur nos frontières, le regard cruel et la mousse aux lèvres. Ils veulent voler nos libertés, peut-être même les violer, ce sont nos précieuses libertés qu'ils jalousent et ont pour projet de détruire. Leur cèderons-nous nos libertés sacrées, aussitôt qu'ils feront irruption ici en brandissant des cimeterres? Citoyens, confiez vos libertés au gouvernement! Ce n'est pas une renonciation irrévocable, comme le clame faussement une certaine propagande anarchiste financée par l'étranger: c'est comme si vous placiez vos intérêts en fidéi-commis entre les mains de vos propres élus! Ottawa prendra grand soin de vos libertés, qui seront stockées dans un lieu tenu secret protégé par nos forces armées, le temps de résoudre la crise actuelle, mais pas un jour de plus! Aussitôt gagnée la guerre au terrorisme, Ottawa vous remettra vos libertés avec des intérêts! Vous avez notre parole. Nous mettons nos sièges en jeu. Et cetera, et cetera.
Avant d'implanter une puce GPS dans le bras des bébés, laisser couler quelques années comme un bain chaud: pendant ce temps, rassurez les gens, rassurez-moi. Affirmez sans rougir en nous regardant dans les yeux que ça servira à retrouver nos gosses quand ils sont kidnappés par des prédateurs sexuels et à les retrouver plus tard quand ils feront des fugues et plus tard quand ils se perdront en montagne lors d'un voyage de pêche et plus tard enfin lorsqu'ils seront vieux et confus et oublieux du chemin de l'hospice. Dans un monde de plus en plus trouble, il est si rassurant de savoir qu'on peut être repéré n'importe où dans le monde par satellite en cinq secondes. Ne plus jamais être perdu! Ne plus jamais être seul! Ne plus jamais être hors de portée de quiconque veut nous contacter! Merci, GPS.
Si je vis jusqu'en 2024, le monde de ma vieillesse n'aura plus rien de commun avec celui de mon enfance, l'ère finissante de l'innocence et des balbutiements, le moment critique dans la vie de l'humanité, quand la technologie se mit à créer le besoin plutôt que d'en procéder, et qu'on fit le pari d'essayer ça, sans retour possible en cas d'erreur. Le plus marrant, c'est que si nous nous anéantissons, il n'y aura personne pour nous pleurer ou nous juger ou se moquer de nous. Le concept même d'histoire n'aura été qu'une aberration au glacial plan cosmique, un produit du cerveau humain, comme le lait vient des mammifères.
Attention! Ce qui suit n'est qu'une grossière et translucide parabole, un message encrypté, une pochade fonctionnant à divers degrés, afin que chacun y trouve son compte, du premier concerné au dernier des mongols...
Ce qu'il y a, c'est un os. Une sorte d'os. Une manière d'os, de caillou dans la chaussure, de bâton dans la roue, de cheveu roux coincé entre le slip et la cuisse du mari d'une brunette (par exemple).Facteur humain maudit, comme ça finit toujours par survenir, fuckant les plus subtils desseins des souris et des hommes.
J'ai un ami, voilà, un ami que je ne connais pas tant que ça, pas tant que lui me connaît moi, c'est la nature de mon occupation, d'être vu sans voir et non le contraire comme on le croit paresseusement, c'est idoine à l'essence même de la publication que l'une et l'autre des parties se tiennent de chaqué côté d'un miroir sans tain, chacune sachant que l'autre Invisible la dévisage et que l'économie humaine et que le sens de la vie dépendent en immense et gravissime partie de ce qu'ils tiennent chacun leur rôle un jour de plus, le temps d'un plan-séquence, d'un cameo, voire d'un fugace, d'un avare plan de coupe. La vie humaine comme un misérable, un frauduleux express d'Halloween de semi long-métrage, où chacun défile à tour de rôle derrière et devant la caméra, troquant son masque et son chapeau contre ceux, identiques, du voisin sans jamais voir la différence,
La fuite de l'enfancePar les jardins anciens foulant la paix des cistes,
Nous revenons errer, comme deux spectres tristes,
Au seuil immaculé de la Villa d'antan.
Gagnons les bords fanés du Passé. Dans les râles
De sa joie il expire. Et vois comme pourtant
Il se dresse sublime en ses robes spectrales.
Ici sondons nos coeurs pavés de désespoirs.
Sous les arbres cambrant leurs massifs torses noirs
Nous avons les Regrets pour mystérieux hôtes.
Et bien loin, par les soirs révolus et latents,
Suivons là-bas, devers les idéales côtes,
La fuite de l'Enfance au vaisseau des Vingt ans. NELLIGAN