10.11.02

Kevin parti peinturer chez ses ashkénazes de Hampstead. Aurait dû commencer hier au coucher du soleil, mais son corps l'a trahi. Le patriarche va le suivre à la trace en lui suggérant des retouches, et la jeune femme lui adressera des sourires qui lui feront s'emmêler les pinceaux.



Je compte les heures avant la fin de ma sentence, me trompe, recommence.

9.11.02

En 1980, je prophétisais devant un auditoire d'amis incrédules que l'on verrait de notre vivant le déclin de l'empire McDonald's. Or, avec la fermeture de 175 restaurants dans dix pays, on peut certainement avancer que le zénith est derrière et le nadir en vue.



Par ailleurs, l'annonce du report de l'ouverture de la Grande Bibliothèque (de fin 2003 à fin 2004) me réjouit pour des motifs purement égoïstes, car la fermeture de la Centrale située près de chez moi ne m'arrange pas.

8.11.02

Les médias nationaux s'alarment: un gros tas de sans-abri dorment par terre. À l'intérieur! Du Refuge des jeunes, de la Maison du Père, du Old Brewery...



Certains sans-abri envisageraient même de coucher dehors pour protester contre cette intolérable situation! Hmmpf...



Me semble qu'on devrait plutôt parler de sans-ami. Ça fait trois mois que je couche sur le plancher et je suis diablement content que K m'aime.



Eux, ces pauvres âmes, leurs amis sont là-bas d'où ils viennent: les régions.



Ils ont dix-sept ans ou vingt-trois et Bigras se graisse la gueule à les réfugier au lieu de dénoncer la raison de leur exil: ces enfants (tous des gars) n'ont pas de famille. Élevés par des femmes qui ont évincé le père de leur vie parce que c'était ce qui se faisait à cette époque, ils errent comme autant de Mychkine prostitués, l'oeil hagard, la lèvre froide.

Idée de titre pour un roman style russe, genre: Dettes et déshonneur.
Ajouté un fichier sonore à la page Vocalises: Steve raconte une bonne et juteuse histoire.
Kevin bouche les trous dans le mur avec du plâtre. J'ai glissé le Voir d'hier sous la canisse de bagosse afin de préserver la levure du froid des tuiles. Ma journée est faite.

7.11.02

Yann Martel est dans la soupe depuis que le New York Times a fait état des similarités troublantes entre Life of Pi et Max and the Cats, un roman du brésilien Moacyr Scliar. Réaction de Vanasse, son éditeur québécois (aussitôt que ses parents auront complété la traduction française): «Est-ce qu'on va accuser Yann Martel d'avoir plagié la Bible parce qu'un homme est dans une barque avec des animaux et que ça ressemble au déluge?» Sacré André.
Si tout se passe comme je le vois, ce n'est pas une préface que K rédigera, mais deux, voire trois.



Une maintenant, les suivantes au fil des ans...



Lui sera vieux, moi mort, mais c'est alors qu'on verra bien ce qu'on verra! N'avais-je pas raison, K, d'avoir tort?



Je t'agace. Je veux juste gagner une fois dans ma vie à Pile ou Face.
CBS intente une poursuite contre ABC. Motif: violation de copyright. Objet: Survivor, un de ces Reality Shows dont on craignait tant l'an dernier qu'ils supplantent la fiction. CBS fait valoir ses droits d'auteur sur la réalité telle qu'imitée par ABC dans son show de l'été prochain. Alors ou bien on peut breveter le vrai, ou alors c'est du faux et on nous ment en le présentant comme du vrai, auquel cas cela demeure brevetable mais sujet à procès pour fausse représentation. FAUSSE REPRÉSENTATION, une production Christian Mistral, sur un écran près de chez vous.

6.11.02

Des gens intelligents qui m'aiment surveillent mes arrières. I shalt not fear.
Hier, une visite et deux appels.



La confiance règne chez les carcérologues. J'imagine tous ces diplômés malaxant les statistiques et calculant les probabilités qu'un condamné sursitaire sorte de chez lui après cinq jours, dix-huit, quarante-deux. Qu'il se sente libre après un premier appel à quatre heures et demie et se fasse ramasser dans un bar vers les vingt heures douze. Comme cela doit les faire chier de me trouver, toujours, bien au chaud dans le profond des Catacombes. Fidèle à l'appel.



Kevin vient de mixer une canisse de bagosse. Sera prête pour les Fêtes. A utilisé un seau d'huile végétale de seize litres récupéré parmi les vidanges des voisins. Quand je songe à toutes les fois où leur cuisine a offensé ses narines, je trouve ça d'une ironie suave. Après l'avoir désinfecté, il a garroché là-dedans deux kilos de sucre blanc, un kilo de cassonade, un demi-litre de sirop de maïs, des cataractes d'eau chaude, six sachets de levure, quatre trognons de pomme et de grands coups de cuiller de bois. Une recette d'Halloween pour Noël.



Sitôt après, on s'est assis autour de ce chaudron improvisé, moi et le sorcier; on a regardé s'agglutiner les bactéries revenant à la vie comme autant de spermatozoïdes spectraux et tout cela se précipitait vers le centre ainsi qu'en un Big Bang géniteur de galaxie.



«Écoute! qu'il soupire, le nez dans la chaudière. Ça pétille! Ça chante! Ça vit!»

5.11.02

Extrait de Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand (merci à Daniel Marotte):



De Guiche vient de proposer à Cyrano de soumettre ses oeuvres au puissant Richelieu, qui en "corrigera seulement quelques vers". Cyrano se rembrunit. De Guiche lui reproche sa fierté.



DE GUICHE

Vous êtes fier.



CYRANO

Vraiment, vous l'avez remarqué ?

Et que faudrait-il faire ?

Chercher un protecteur puissant, prendre un patron,

Et comme un lierre obscur qui circonvient un tronc

Et s'en fait un tuteur en lui léchant l'écorce,

Grimper par ruse au lieu de s'élever par force ?

Non, merci. Dédier, comme tous ils le font,

Des vers aux financiers ? se changer en bouffon

Dans l'espoir vil de voir, aux lèvres d'un ministre,

Naître un sourire, enfin, qui ne soit pas sinistre ?

Non, merci. Déjeuner, chaque jour, d'un crapaud ?

Avoir un ventre usé par la marche ? une peau

Qui plus vite, à l'endroit des genoux, devient sale ?

Exécuter des tours de souplesse dorsale ?...

Non, merci. D'une main flatter la chèvre au cou

Cependant que, de l'autre, on arrose le chou,

Et donneur de séné par désir de rhubarbe,

Avoir un encensoir, toujours, dans quelque barbe ?

Non, merci ! Se pousser de giron en giron,

Devenir un petit grand homme dans un rond,

Et naviguer, avec des madrigaux pour rames,

Et dans ses voiles des soupirs de vieilles dames ?

Non, merci ! Chez le bon éditeur de Sercy

Faire éditer ses vers en payant ? Non, merci !

S'aller faire nommer pape par les conciles

Que dans les cabarets tiennent des imbéciles ?

Non, merci ! Travailler à se construire un nom

Sur un sonnet, au lieu d'en faire d'autres ? Non,

Merci ! Ne découvrir du talent qu'aux mazettes ?

Etre terrorisé par de vagues gazettes,

Et se dire sans cesse : "Oh, pourvu que je sois

Dans les petits papiers du Mercure François ?"...

Non, merci ! Calculer, avoir peur, être blême,

Préférer faire une visite qu'un poème,

Rédiger des placets, se faire présenter ?

Non, merci ! non, merci ! non, merci ! Mais... chanter,

Rêver, rire, passer, être seul, être libre,

Avoir l'oeil qui regarde bien, la voix qui vibre,

Mettre, quand il vous plaît, son feutre de travers,

Pour un oui, pour un non, se battre, -ou faire un vers !

Travailler sans souci de gloire ou de fortune,

A tel voyage, auquel on pense, dans la lune !

N'écrire jamais rien qui de soi ne sortît,

Et modeste d'ailleurs, se dire : mon petit,

Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles,

Si c'est dans ton jardin à toi que tu les cueilles !

Puis, s'il advient d'un peu triompher, par hasard,

Ne pas être obligé d'en rien rendre à César,

Vis-à-vis de soi-même en garder le mérite,

Bref, dédaignant d'être le lierre parasite,

Lors même qu'on n'est pas le chêne ou le tilleul,

Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul !
Un lecteur veut savoir ce que je pense de l'aisance avec laquelle on peut se procurer gratuitement des chansons sur Internet (en particulier les miennes!)



Réponse: je pirate à tour de bras. Je fauche, détourne, kidnappe et vole, j'emprunte et je m'approprie sans l'ombre du sourcil d'un cas de conscience toutes les tounes qui me font envie. Quant aux miennes, mes chèques de droits d'auteur n'ont pas diminué, tout au contraire, et si les gens piquent ma musique, c'est qu'elle est déjà très populaire. L'industrie du disque est une honteuse salope qui vous vend vingt fois trop cher quatorze chansons dont vous n'avez rien à branler autour d'une seule qui vous allume. Pourquoi ne pourriez-vous acheter seulement l'équivalent de nos anciens 45 tours, comme le plus clair de toute l'Europe le fait déjà?
Hier, Steve est venu faire son tour et Kevin a mitonné cette fondue savoyarde qu'il promettait depuis deux bourses. Ça valait le coup d'attendre. Je n'ai malheureusement pas le droit de dire ce qu'elle contenait, car certains ingrédients me sont interdits. On a aussi fait des prises de vue avec la caméra de Catherine. En soirée, on s'est regardé un film starring Crowe et Pacino. Je jouais avec mon nouvel anneau en essayant d'imaginer celui qui l'a originellement porté, un légionnaire ou un boucher romain, quelqu'un avec du sang sur les mains, une femme et des enfants, une mère et une mort et l'humain désarroi de disparaître.



Kevin boit de mieux en mieux, scientifique et sérieux, avec la sérénité que confère le libre-abitre. Prend juste ce qu'il lui faut. S'endort sans crainte. S'éveille joyeux. Dompte le feu de l'homme.
Aujourd'hui, si la tendance se maintient, ce Journal-Toile va franchir le cap des dix mille visiteurs. Get a life, people!
Ma poésie me pose problème. Encore. Des années après en avoir divorcé, elle me harcèle et réclame toujours une sorte de pension alimentaire, malgré la laideur des enfants que je lui ai faits, ou peut-être est-ce à cause de cela, car il est vrai que je promettais beaucoup...



Poésie, premières amours. Je la concevais avec un siècle de retard dans un simili-pays qui engendrait des poètes par centaines, tous plus hippies les uns que les autres, avant de se faire couper les tifs et d'aller enseigner leur truc et le publier et le lire entre eux. Puis, j'ai fondu mes "mauvais" poèmes en une prose lyrique incandescente et on m'a célébré sans relever l'imposture, car me dénoncer aurait été se pointer eux-mêmes du doigt. Quand j'ai connu Franz-Emmanuël Schürch, il avait dix-neuf ans et sa poésie ressemblait fort à ce que la mienne aurait dû être si elle m'avait obéi, aussi j'ai renoncé d'un coeur léger au travail du poème, confiant que Franz s'en chargerait et que ça resterait dans la famille. Cela ne s'est pas concrétisé. Mon fils, plus tard, m'a fait miroiter de riches possibilités. Sa plume annonçait une hallucinante marchandise qui ne fut, ni ne sera, vraisemblablement jamais livrée. Il y a maintenant Kevin, qui fait face au même lot de difficultés: comment être poète hors des normes poétiques?



Un ami, directeur littéraire, m'adresse ces quelques mots qui me causent un certain souci: «Si je peux me permettre une confidence un peu rude, cher Christian, j'ai tout lu ton oeuvre de prose que je considère comme importante et fort bien écrite (je suis un fana de ton journal et j'ai eu de beaux moments d'émotion en y lisant mon nom à deux reprises). Par ailleurs, j'ai quelques doutes quant à ta poésie. Je voulais te signaler mes propres préjugés avant que tu ne te décides à nous faire parvenir tes oeuvres. Parce que je sais que ton nom seul est un gage symbolique assez fort pour publier tout ce que tu peux soumettre à un éditeur. Mais je t'invite tout de même, ne connaissant rien de ton dernier opus, chaleureusement, à nous soumettre ton recueil. Es-tu ouvert au peaufinement et au travail pré-éditorial? Je compte sur ton ouverture d'esprit et ton professionnalisme littéraire."



Ceux qui ne connaissent l'édition que de l'extérieur ignorent à quel point ces propos sont rares, donc précieux. Pour tout dire, personne ne m'a parlé comme ça depuis 1988. Est-ce que ça me fait plaisir? Non. Ça me heurte et ça me trouble. Je le prends pour ce que c'est, cependant: l'opinion franche d'un honnête homme qui s'adresse amicalement à un autre honnête homme, pas à un symbole, pas à une image.



Suis-je ouvert au peaufinage? Non. Au travail pré-éditorial? Foutre non. Cela ternit-il mon professionnalisme littéraire? Tout dépend de ce que l'on entend par là. Non, je ne suis pas un professionnel du poème et ne compte pas le devenir. J'aurais pu, bien entendu, par la vertu de mon nom seul, ce gage symbolique. Mais je crois que la poésie professionnelle a perdu son chemin, qui est celui du coeur des hommes. Je crois que mes poèmes devraient être publiés tels quels, verrues et tout, comme partie intégrante de mon oeuvre, celle d'un (p)artisan sérieux, engagé, dérisoire et lumineux. Je n'ai jamais voulu publier au prix de ma personnalité. Mes lecteurs le savent et l'apprécient, c'est même pourquoi ils sont mes lecteurs. Ce gage symbolique que représente ma signature ne m'est pas tombé du ciel, il est fondé sur du vrai, du solide et du tendre, il est assis sur de l'historique en béton armé. Irais-je leur donner à lire, à ces gens qui m'aiment, m'aimeront, qui me font, qui me feront confiance, des vers peaufinés par un autre avant qu'on ne les soumette à un travail pré-éditorial? Faire cela serait engager ce gage symbolique, le mettre au clou, sans espoir de le récupérer jamais; or, j'ai tout porté au pawn shop dans ma vie, sauf mon art.



N'empêche, mieux vaut se faire opposer un refus par un ami, et avec cette élégance. J'ai presque rien senti.



L'Amériq regorge de ressources.

4.11.02

Cette année, Kevin s'est surpassé. À mon dernier anniversaire, il m'avait offert deux pièces de monnaie millénaires frappées à l'effigie de l'empereur Constance II. Voilà qu'il m'arrive avec un anneau de bronze romain, probablement un anneau de citoyen, découvert lors de fouilles archéologiques en Bulgarie, anciennemment la Thrace. Je le passe à mon doigt avec beaucoup d'émotion. L'histoire, coulée et martelée dans ma main droite. L'amitié infrangible et circulaire. La perennité de l'airain.
Hier, passé l'après-midi avec Mario Lemoine à jouer au Scrabble, et la soirée à écouter des vieux disques en chiâlant.



Ce matin, deuxième neige. Moins drôle. Cependant, à Paris, Guillaume vient de remporter le prix France-Québec.

3.11.02

Justine a débarqué avec des croissants et du jus d'orange, du café frais moulu, du fromage et du beurre salé. Déjeûner me rend redoutable. J'irais défricher un bout de forêt si j'avais le droit de sortir.