24.10.02

Bon Jack, l'agent. Paraît qu'ils m'ont appelé deux fois lundi matin à quinze minutes d'intervalle, sans succès. Pour cette fois, il veut bien laisser couler.



Traversant le parc Jarry pour la première fois depuis trente-cinq ans, n'ai-je pas entrevu le spectre rouge de Rusty Staub se secouant les fesses avant de claquer un coup de circuit? Et celui, plus pâle, d'un petit garçon retenant son souffle...
Yann Martel, neveu de Réginald et fils d'Émile, a emballé le Booker Prize pour Life of Pi. À croire que la littérature du ROC entretient de meilleurs rapports avec sa métropole que la nôtre. Me revient en mémoire une réception chez l'ambassadeur Martel à Paris: le caniche de Claire Dé avait vomi sur le tapis et j'étais bien content que ce fût lui plutôt que moi, pour une fois.
Sans sou ni maille. Cet excellent Bertrand Laverdure, de la revue Moebius, a mis la main à sa poche pour me tirer d'affaire. C'est K qui est allé le rencontrer hier en mon nom à la bibliothèque nationale.



Plus tard aujourd'hui, je rencontre mon agent de probation. J'irai à pied en inspirant l'automne.

23.10.02

Quelques jours ago, Marlène appelle de Floride. Je l'informe de ma situation, et comment son frère Hans l'a sensiblement améliorée. Elle raconte comment sa fille trippe sur les tounes à Dan, et sur Dan, et qu'elle lui a expliqué la différence entre auteur et interprète. «I guess I fucked the wrong guy», qu'elle dit. «That's what I always thought», je dis. Elle dit: «Sauf qu'il est plus sexy que toi, ces temps-ci». «Oui, je dis; mais moi aussi, je finirai par avoir mon illumination». «T'en as eu assez, des illuminations», elle dit. «Autrement, kestu fais de ton temps depuis le divorce?» je demande. «Je baise, mon grand. J'ai trente ans!» elle répond. «Tu viendras pour les Fêtes?» je m'enquiers. «No way! Montréal, c'est fini. J'y ai vu des choses qui m'ont trop bouleversée...» On s'embrasse, on raccroche, elle rappelle, elle ajoute: «Ma fille veut te parler! Quatre ans, mais elle se souvient de toi au Jour de l'An...» Je n'y vois pas d'objection, mais la puce change d'idée. On raccroche. Décrocher, raccrocher, what the fuck, that's our life.
Justine m'envoie une liste de suggestions gentilles pour "m'enlever les maux de la bouche": mendier sur le net (Miller, le sait-elle? faisait ça dans les magazines il y a cinquante ans; Andrée Champagne recevait des conserves adressées à Donalda, et Jean-Pierre Masson des torgnoles destinées à Séraphin...), m'adresser aux dentistes en herbe de l'université, demander à Kevin de me péter la gueule puis me présenter à l'urgence...
Idée pour Vortex Violet: une série d'entretiens avec des quelqu'uns et des nobodies et des entre-deux. Titre: Vis-à-vis.
Coup de fil d'Éric Drouin. «Dis donc, Christian, je me rappelle pas trop bien: l'autre soir, est-ce que j'ai fait le cave?»



On a tous faits les caves, mon chum. T'inquiète pas avec ça.
Seconde saleté de visite à domicile. La première, le type avait l'air d'un messager à vélo. Cette fois-ci ils étaient deux, un maître flanqué d'un apprenti. L'aîné, celui qui parlait, le faisait avec un sens de l'humour en uniforme qui réveille très mal. Quand il m'a dit que ma photo ne me ressemblait pas à cette heure-là, j'ai suggéré qu'il revienne à une autre heure.



Damnées dents! J'ai toute la gueule en souffrance.



Kevin va casser la croûte avec Catherine. Pour fêter ça, il a astiqué le lavabo. Ça m'a encouragé et j'ai récuré la cuvette.

21.10.02

Au téléjournal, le gros Bureau sédentaire et stoïque nous alarme: nos jeunes sont obèses! Nos jeunes foutent rien! Nos jeunes épaississent devant la tévé! Hypertension, ostéoporose, estime de soi dégueulasse, non mais keski sont cochons nos lardons!



Hier, Drouin est venu et on s'est un peu battus, puis K a transformé le mur du couloir en gruyère; aujourd'hui, il soigne ses jointures et sa cheville au lit, enlaçant sa tristesse, et je lui fais cuire des tartes aux pommes pleines de canelle sur la pointe des pieds.

20.10.02

Catacombes




Petit poème improvisé pour KV




Sali les mains

En dessinant parmi les taches,

Taillé chemin

à l’envergure du panache;

Les faons suivront

Demain dans son rouge ravage,

Des gens vivront

De ce qu’il aura mis en gage.

La vie l’avale,

Il la digère et la recrache

Son carnaval

S’installe à peine qu’il s’arrache

Aux chapiteaux

Définitifs et au circuit

Des cirques, zoos,

Foires, parcs et camps de gypsies.







Montréal s'automnise; la cour est jonchée de feuilles jaunes et les enfants jouent dedans, de lourdes écharpes nouées à leurs cous.



Kevin planche à toute vapeur sur une dissertation relative à l'origine des universités. Justine n'est pas venue déjeûner. Blâme le syndrome pré-menstruel.

19.10.02

Le frère de Vautour me fait signe sur le Forum. D'anciens accents de guitare me reviennent en mémoire. Il écrit que son frangin serait fier de moi. Je le crois aussi et ça me serre le coeur.

18.10.02

«It is a riddle, wrapped in a mystery, inside an enigma!» disait Churchill de la Russie, et songer à Annie me fait penser à Churchill prononçant ces graves et drôles et désemparées paroles.



D'Annie, je n'ai guère parlé ici depuis des mois. L'émoi que cela lui cause m'en retenait, et j'ai plus ou moins accepté de mentir par omission en ne mentionnant pas son nom. L'intégrité de ce Journal s'en ressent fatalement, car enfin, elle est souvent l'objet de mes pensées comme de mes conversations avec Kevin. Et je la lis toujours sur le Net avec autant d'intérêt qu'avant, même si la ferveur est différente. Script, Annie et Strohem sont diverses faces d'un seul dé byzantin qui se relance infiniment lui-même sur le tapis de jeu en annonçant banco! jusqu'à l'ultime, extatique et spectaculaire saut de la banque...



Ce printemps, pour un très bref moment béni, nous savions lire entre nos lignes, mais voici venu l'automne et je ne distingue plus la fable du vraisemblable. Voilà qui devrait l'enchanter.



D'autre part, et puisque je suis d'humeur à me confier, j'ajouterai que mon décevant héritier m'évite chaque fois que j'éprouve des ennuis qui pourraient me mettre en position d'avoir besoin de lui (l'été dernier, c'était ma jambe cassée). Pas un jour ne se passe sans que je vilipende son attitude dans la zone de mon coeur que sa naissance n'a pas transformée. Mais c'est une bien petite zone, une province attardée, sans signifiante influence sur le gouvernement fédéral de l'organe en entier.
Ce cher Hans m'a appelé et, tentant un brave mais vain effort pour maquiller sa voix, a réclamé de parler sur-le-champ au "matricule quatre-vingt-neuf soixante-huit"!



Va sans dire que je l'ai reconnu tout de suite, ça fait des années que ça dure, ces farces déficientes, mais outre qu'il ait le sens de l'humour du docteur Mengele, force est de reconnaître que son coeur est à la bonne place: il m'a demandé comment j'allais et si j'avais besoin de quelque chose, il m'a témoigné cette même amitié qui m'honore depuis le premier soir, il a fait preuve de la même grandeur d'âme qui a toujours fait mon admiration et mon envie. Quelles sont les chances, à mon âge et en ce monde, pour un homme d'en connaître un autre dont il souhaite émuler les qualités? Minces, voilà ce qu'elles sont. Je suis si veinard que j'en sens bon.

17.10.02

Réjouissante nouvelle! Tardive et juste et excitante annonce! Claude m'apprend que Pierre Thibeault a enfin été nommé pour de bon à la rédaction en chef de l'hebdomadaire ICI. Ça a dû se faire sauvagement ce matin ou hier après-midi (ce journal a tout juste un lustre et deux semaines d'âge et son histoire est jalonnée de cadavres), car il n'en est fait aucune mention dans l'édition d'aujourd'hui. Quoi qu'il en soit, je viens d'appeler le promu pour le féliciter et lui recommander de surveiller ses arrières, où ne sauraient manquer de se tapir à l'affût deux ou trois louveteaux avec couteaux (affûtés) et fourchettes (pointues). Thibeault ne s'encombre pas d'idées reçues, sa curiosité n'est en rien inhibée par son érudition et l'esprit vigoureux qui gouverne sa plume peut redonner au journal un peu de rose (aux joues) et d'épine (dorsale).



D'autre part, Wajdi Mouawad publie le roman sur lequel il travaillait déjà de l'heureux temps où j'étais avec Gil-France et qu'il venait faire son tour à la maison. Ça me cause, encore là, une grande joie.



Ai dû me faire violence (en état de légitime défense) et solliciter l'autorisation de sortir auprès des services correctionnels. Suis aller chercher le chèque de la SODRAC. Il ressort que le plus gros des droits provient de l'usage de Soirs de scotch par le Ministère de l'éducation du Québec (ne me demandez pas ce qu'ils en font)!



Puis, j'ai fait des courses à la course afin d'être de retour pour seize heures. Ils viennent juste d'appeler. M'ont demandé ma date de naissance. Ne me laisseront pas l'oublier.

16.10.02

Les premiers résultats du référendum irakien sur sa reconduction septennale donnaient Saddam Hussein, dit l'hidrosadénite, gagnant avec 100% des voix. Un recomptage minutieux révèle qu'il s'agit plutôt de 103%. Doublevé, dit le saprophyte, est s(c)eptique.
Ne sais vraiment pas trop quoi dire, et encore moins comment l'écrire, sinon que la vie en demande beaucoup à mon ami ces temps-ci, et que cette nuit la vie avait mes traits, la truie, la gueuse, l'impénitente émanation d'un dieu caduc et barbaresque, et qu'on me pende si ce diable de rouquin surnaturel n'a pas tout encaissé costaud avec le flegme d'un prytane et l'élégance d'un grand seigneur. Sourire en coin, presque, mais je n'en pourrais jurer. Tout juste comme s'il m'en préparait une bonne.



Plus tard, j'ai reçu par messager six feuillets recto-verso couverts de questions, de colles, de clés: c'était signé Circius, Emmanuel, et ça sentait sa conspiration criminelle à dix pas.



D'abord, Manu ne m'écrit rien à la machine.



Ensuite, plusieurs des points soulevés s'écartaient de ce qu'il sait, voire même de ce qu'il peut! Ce drôle, ce cynique, ce revenu-de-tout n'aurait pas pu pondre ces pages aujourd'hui. Il ne les a plus en lui. Je le connais. Je le sais.



Or, cet interrogatoire trahit une telle candeur-du-début-de-la-vie, d'idéal éclatant qu'aucun temps n'a terni, de prétention franche et d'appétits-Iscariotes en malstroms, un tel esprit étanche à l'attrait des litotes et aux dangers du rhum, que je me résous à croire que Kevin et EC s'étaient entendus pour que le premier agisse et que le second signe.



Ainsi soit-il. J'y répondrai, puisque mon livre en sortira meilleur. N'empêche que ces deux conjurés du dimanche m'ont rappelé qu'on ne peut m'aimer sans détours, ni faire mon bonheur autrement que par la force et le recours au secret. Ne savent-ils pas que je m'en serais passé?

15.10.02

Oui, bien sûr, il y a le diabète, et l'obésité, mais manger sucré facilite sacrément le lavage de vaisselle: toute la merde se dissout au contact de l'eau chaude.



K me noue le torchon autour du cou et me présente le miroir: écharpe artiste et crasseuse, jaune passé, Saigneur j'ai commencé plongeur et plongeur je finirai!



Confirmation SODRAC de sous qui rentrent. J'appelle Steve.
Ce soir, il semble qu'on mange de la morue. «Encore?! rugis-je. Et comment tu la prépares, cette fois-ci?»



«Eh bien, de répondre K, voilà où j'en suis: je la dessale, je la dépiaute, je la découpe, je fais cuire des patates et puis ensuite j'appelle ma mère...»
Une fois rendu à l'université, ce vieux K l'a trouvée désertée. Pas un chat. Il avait oublié la semaine de relâche (à cause de sa propre semaine, sa semaine dernière, de relâche). «Là, je me suis trouvé tata en tabarouette! Enfin, pas tellement tata, mais juste assez pour y voir un signe du destin...», me confie-t-il à son retour, un tiers penaud, un autre sur la défensive, un dernier moqueur. Auparavant, il m'avait adressé un courriel intitulé Fatum buissonnier: Le contre-courant, le vrai rebours, l'ultime manière de se ménager une existence en marge, c'est de boire sans répit quand les classes ont lieu, de se rendre aux cours, comme aujourd'hui, lorsque débute la semaine de lecture, les vacances... Jarnidieu!



Jarnidieu, indeed.



Quand au message, l'alerte s'est révélée fausse, mais je reste aux aguets.