Vidéotron semble avoir rétabli la connection, qui s'interrompait dix fois par jour, à un niveau satisfaisant. Maintenant, c'est Blogger qui déconne. Le stress me coupe la chique. Je me sens comme un corsaire dont le vaisseau prend l'eau: il passe son temps à écoper.
Néanmoins, je parie qu'aujourd'hui sera un riche mercredi. Je me suis même laissé fixer un rendez-vous clandestin par Justine. Et j'ai une nouvelle ou un poème sur les monstres à torcher pour Moebius. Les monstres! Par les entrailles du Christ, ça me connaît.
Quelqu'un peut-il m'expliquer comment j'en suis venu à être coopté par la fameusemafia de Moebius sans même m'en rendre compte?
Avec Annie, tout semble bien fini. Du diable si je sais comment ça s'est produit.
Réussi, après dix-sept ans de vaines recherches, à remettre la main sur l'incomparable chanson (Ils reviendront) Les jours heureux de Charles Aznavour (vivement qu'on lui pardonne son succès et qu'on le reconnaisse pour ce qu'il est: un grand auteur).
Surtout, qu'on ne me demande pas comment j'ai fait. Si on vous interroge, dites que vous n'en savez rien. Dites qu'elle est tombée d'un camion, la chanson.
Assis sur mon balcon, je me laisse transporter de frissons par ces accents bouleversants qui évoqueront toujours pour moi mes années avec Maia. Et je songe que, où qu'elle soit, ça lui fait bien soixante-sept ans, maintenant. La plus belle créature de l'univers, quasiment septuagénaire.
Une lectrice, Ginette Desmarais, m'envoie gentiment cet éclaircissement: «Les rues de Montréal ont été orientées en tenant compte du fleuve plus que de la boussole. Nos rues nord-sud sont perpendiculaires au fleuve et nos rues est-ouest sont parallèles. Ça explique aussi l'orientation bizarre de certaines routes provinciales.»

Voilà, pas plus compliqué que ça. Je peux continuer à prétendre sans mentir que chez nous, le soleil se couche au nord.
Déjeûnons du reste du pâté. Mastiquant, absent, je m'avise soudain que ma fenêtre donne sur l'ouest. Depuis cinq ans, je vante ma vue sur le nord, pour l'incomparable qualité de ses couchers de soleil. L'axe nord-sud de Montréal n'est donc qu'une convention?
Hier soir, les nuages évoquaient un dragon qui, ayant avalé le soleil couchant, refluait en digérant.
Le steak haché grésille dans la poêle, empoissant la touffeur ambiante. J'ai vendu assez de livres pour un pâté chinois, quatre grosses bières et une tarte au citron. Kevin, arrivé en costume-cravate, comme pour défier la canicule, capitule; il tombe la chemise et roule des tiges.
Mario est passé imprimer la liste des jours fériés. Dans le monde. Entier. Si j'ignorais qu'il s'agit d'un travail à la pige, je mettrais ça sur le compte de son «génie pour le farniente»...
Le canal D repasse l'épisode de L'homme de six millions dans lequel Jaime Sommers apparaît, vient près d'épouser Steve, est bionicisée et meurt d'une tumeur au cerveau.
Je ne l'ai plus revu depuis vingt-cinq ans, mais je me souviens comme si c'était hier soir des circonstances dans lesquelles je l'ai regardé la première fois. Quand ma mère est rentrée à la maison, j'avais le visage baigné de larmes; elle m'avait trouvé fiévreux et mis au lit séance tenante.
Je ne comprenais pas encore l'anglais, mais je pigeais déjà la tragédie.
Réveillé brusquement avec une variété d'érection matinale pour laquelle les Nippons connaissent des dizaines de noms différents. Rêve mué en cauchemar: venais de louper un rendez-vous avec July Balfus. July! Vingt ans plus tard, elle acceptait qu'on sorte un soir et je me retrouvais plutôt, je ne sais comment, au restaurant avec le petit de RBO...
Aujourd'hui, j'irai faire un tour du côté de chez XYZ. Voir à mes affaires.
Mon cher Mario est passé en coup de vent pour m'apporter une quille de Suprême. «Bonne inspiration, là! Je vais surveiller ça demain...»
Désolé, mon pote, mais je m'écrase avec Le Prince et je tète sans plus écrire. Je n'ai rien d'autre à dire, que merci.
Lecteur fort fâché après moi parce que j'ai parlé d'invention dans le Journal. Semble croire que je le floue. C'est pourtant tout le contraire, mais il faut croire que ça ne crève pas les yeux.
QaPlaH! Hosanna! J'ai dégotté en furetant rien moins que le scénario de Star Trek X: Nemesis. Quel délice interdit, quel plaisir j'éprouve à gâcher mon plaisir!

Dans le même ordre d'idées, Mars Odyssey a trouvé de l'eau sur la planète rouge. La NASA l'annoncera jeudi.
Mario débarque. «Quoi de neuf?» lance-t-il, jovial.
«Pas grand chose», je dis. «Tellement peu, en fait, qu'il faut que j'invente des trucs à mettre dans le Journal. Pour tout dire, t'es même pas là!»
Il rigole. Je l'emplis de confiture d'abricots et lui donne la recette, celle d'Annie. On se sent Plateau en diable.
Cependant qu'au salon les filles dialoguent sur leurs vagins («Le mien, si c'était une vedette, ce serait Céline Dion: naturel, nerveux, diva!» «Le mien, il me rappelle Maria Callas!»), je fais quelques parties de backgammon à la cuisine avec C. Ce week-end s'étire, s'étire, ne finira jamais et c'est très bien comme ça. «Le mien a des airs de Michael Jackson...»
Très bien comme ça, parce que mes archives papier attendent depuis un an que je les classe et que j'ai décidé de m'y attaquer aujourd'hui.
C me parle d'E Ink, un surgeon du MIT qui développe un écran flexible très prometteur. Les pixels s'agglutineraient par électricité statique et seraient éclairés de l'extérieur, par la lumière ambiante réfléchie, comme un livre, ce qui permettrait d'emporter le support au soleil. Combiné à un chargement sans fil, ce bidule pourrait recevoir un roman ou un tout nouveau journal chaque matin. Restent l'écran à amincir (ils en sont à 6 mm) et la résolution à augmenter.
Éric Roger m'envoie un poème écrit pour moi en buvant une Bud à l'Île-des-Soeurs.
Petit poème pour Mistral
être béni dans l'anus royal
Je cherche un sourire
à mettre sur mes lèvres
le ciel a violé mon âme
j'emprunte un cierge
je le plante sur un nuage
vaut mieux avoir deux yeux
pour éclairer la réalité
nous sommes abstraits
dans ce pays d'amertume
il nous faut un Jack
l'éventreur
pour faire bouillir
nos coeurs meurtris
nous urinerons dans la
face cachée du ciel
pour faire apparaître
l'emblème hiérarchique
du règne royal
tu sais un peu comme on
nous le montre dans le
générique des épisodes
de Batman
nos reines nous conduiront
au meurtre
nos rêves exploseront comme
des bombes
je continue ce profond rêve
je me retrouve dans le monde
de Ulthar
non! je me vois plutôt
là où une princesse du nom
de Diana
s'est éteinte 
Diana dans toute sa splendeur
mais coupable d'en savoir
trop concernant le règne
monarchique et diabolique
du pouvoir britannique.
(© Éric Roger 23 mai 2002)
Beau samedi. Une confiture d'abricots amers mijote sur le feu; je crois que j'ai peut-être mis trop d'eau. Si ça marche, je la foutrai dans le petit pot Mason que Marie-Josée a orné de fleurs peintes à la main avant de me l'offrir.
J'entame la lecture de L'hiver de notre mécontentement de John Steinbeck tout en regardant Abattoir 5 du coin de l'oeil.
Hier, Kevin s'est résolu à liquider quelques trésors qui lui tenaient tant au coeur qu'à la conscience... enfin, il ne serait pas prudent de ma part d'élaborer, so, anyway, on a traversé le Parc Lafontaine et un petit vent doux nous gardait secs; le bassin était plein d'eau, les pelouses de vieux, de guitaristes chevelus et d'indolents tatoués.
La nuit d'avant, mon vieux K avait failli se faire embarquer par les cochons pour une banale histoire de trouble de la paix publique. Son copain Ed, moins roublard et plus pur, s'est fait péter le crâne sur le toit du véhicule policier avant de disparaître à l'intérieur. On n'a su qu'en soirée si La Seigneurie d'office avait jugé opportun de le libérer. Kevin, ça l'a rassuré.
Et puis le timbre du Bunker a résonné, toutes les notes de mon code bien découpées, claires, propres et rythmées que c'en était une beauté, j'aurais pas fait mieux moi-même, c'est tout dire, et comme de juste c'était monsieur mon fils, JCM en personne, beau comme un demi-dieu grec (un tiers décathlonien, un tiers philosophe, un tiers bouc). Juste au moment où les traces de sa taille ascendante perçaient sous la peinture...
Je lui ai montré où se trouvait mon testament. Il m'a donné l'assurance qu'il saurait s'occuper de mes affaires en cas de besoin. Je n'ai pas hâte de ne pas voir ça.
Plus tard, Éric Drouin est venu. Sûr qu'ils se passent le mot pour me foutre la crise cardiaque!
L'est monté m'acheter un sachet et n'y a pas touché. Si Éric peut faire ça, d'insoupçonnés possibles s'ouvrent à moi ce soir.
Circius, fort troublé, un tantinet colère, sollicite mes lumières: «Je la fais râler à fond, je lui fais la courte-échelle vers les constellations. Tout de suite après, elle se tire! Fâchée parce qu'elle se figure que je l'ai comparée à toutes les autres femmes. Elle venait de se dire pleine d'énergie. Moi, j'étais là, pantelant, contemplant le repos du guerrier. J'ai dit: C'est bien les femmes, ça. On est à moitié morts et vous pétez le feu. Elle a crié: Je suis pas toutes les femmes! J'étais trop crevé pour jouer. J'ai fermé les yeux et je l'ai laissée filer. Ai-je bien fait, selon toi?»
Tu rigoles? je dis. T'es une sorte de génie.
Elle m'a envoyé au vin tandis qu'elle vaquait aux légumes. On a siroté regardé la télé lu Sand et Nasar j'ai fumé elle a pris un bain chaud que j'avais fait couler pour son souple corps impatient j'ai mis de la musique on a mangé baisé oh elle m'a expliqué le sens premier du sens commun j'ai léché son clitoris sucré le dessert est un triomphe de la civilisation seuls les sauvages en entretiennent le soupçon.
La tête des gens, des femmes surtout, quand vous mentionnez que vous purgez périodiquement la mémoire de votre ordinateur de toutes traces de vos pérégrinations! Non pas qu'ils vous soupçonnent de dissimuler d'horribles secrets, au contraire: c'est de paranoïa qu'on vous taxe. Et bien sûr, le projet de loi qui forcerait les serveurs à conserver plus longtemps les courriels de leurs clients ne vise que les gros méchants terroristes. Cette idée du rien à cacher, rien à craindre est pernicieuse et sophistique. Qu'on se rappelle les saisies de livres en 1970, quand la Police Provinciale embarquait tout ce qui parlait de cubisme, croyant qu'il s'agissait d'une idéologie issue de la Havane! Si j'ai jamais à nouveau des ennuis avec la Loi, je ne veux pas qu'on se mette à interpréter rétroactivement mes goûts en matière de politique, de poésie et de pornographie (Non, pas d'hyperlien sur poésie: trop privé). Un procureur a bien déjà cité en preuve une entrevue que j'avais supposément accordée au Devoir sans se soucier de faire prêter serment à la journaliste.
Annie arrive juste à temps pour voir le soleil se coucher dans l'ancienne carrière Miron, qui devint un dépotoir.
Je devrais travailler à Origines. Le verbe devoir revient souvent aujourd'hui. Je devrais travailler mais le coeur n'y est pas, n'y est plus depuis longtemps, des années, or personne ne me croit quand j'affirme préférer laver la vaisselle à écrire. Avoir écrit, j'aime bien. Parfois, dans mes marathons de nuit soutenus au carburant blanc, je m'amuse vraiment, tout entier à la joie d'accomplir des prouesses, sans ce constant sentiment d'avoir mieux à faire ou d'oublier quelque chose. Sans, surtout, la compulsion de faire vite, de hâter le texte, de boucler la chose à dire en deux paragraphes, ce qui paradoxalement fait traîner toutes mes entreprises. D'auteur prolifique, je suis devenu celui qui livre au compte-gouttes, et le mieux est que j'intègre cette conception de moi-même le plus totalement possible. Or, alors même que j'écris ces lignes, je sais que cela est résolument hors de question. Je n'y croirai jamais. J'y crois, je change; je change, je crève.
Le fait qu'Origines soit une sorte d'essai où la fantaisie doit être réduite au minimum n'arrange pas les choses. Je vois la créativité qu'implique un tel effort mais je ne la ressens pas, pas suffisamment pour me porter, me faire éprouver l'apesanteur et la vélocité d'une flèche.
Ce journal, c'est autre chose. Longtemps je m'y suis refusé, incapable de substituer l'acte d'écrire à celui de vivre, certain que le processus ne pouvait déboucher que sur l'absurde. De plus, je tenais ce genre pour particulier en ce qu'il s'adressait à des lecteurs futurs; or, cela me créait une obligation de dépeindre la vérité, toute ma vérité, un exercice aussi périlleux que futile auquel je répugnais à me soumettre. Mais le fait de tenir un journal pour des lecteurs immédiats change la donne, à mon sens: c'est le vrai contre la vérité sélective, ou ce qu'on appelle aujourd'hui avec quelque abus l'autofiction. De plus, la seule perspective d'être lu et d'en jeter plein la vue me donne l'impulsion nécessaire à l'ouvrage quotidien. C'est comme ça. Il est de pires raisons d'écrire.
Enfin, il n'est pas impensable que la grâce, ce fuyant état propre à la vingtaine, ne revienne jamais que par bouffées intermittentes séparées les unes des autres par des intervalles de plus en plus longs, et que je me sois, en quelque sorte, volé à moi-même mes meilleures années. Cette idée ne laisse pas d'être profondément déconcertante.