20.11.02

Lassitude et dégoût passagers de toi-même. Si tu leur laisses un instant soupçonner ta faiblesse, ils se rueront à la curée. Ils se rueront à la curée. Ils se rueront à la curée.

19.11.02

Retour de la bibliothèque, où j'ai validé mon mot de passe pour un nouveau service utile. On peut désormais consulter son dossier d'emprunts actifs à partir de Gulliver, le catalogue électronique accessible depuis le Net. Et puis j'ai demandé au concierge de réparer mon siège de toilette.



En somme, une journée excitante comme une jaquette de flanelle.



18.11.02

Au printemps, j'ai vendu mon Nokia à Mario. Ce cellulaire étant mort de sa belle mort, je viens de lui refiler mon vieux Mitsubishi. Service après-vente en quelque sorte. Mais comment un type comme moi s'est-il jamais ramassé avec trois téléphones?



Ces dernières semaines, ébloui par la richesse des histoires qu'il me narrait à la lueur des chandelles, je pressais Kevin de les écrire sous forme de nouvelles. Mais ma présence rendait la chose difficile, et il fallait que je décolle pour qu'il s'y mette enfin. Ne vient-il pas de m'envoyer la première?



Certaines nuits, le paysage intérieur semble peint à traits sauvages et terrifiants comme une toile d'Edvard Munch, s'exprimant en aplats de couleurs crues. Certaines nuits grincent des dents.

17.11.02

VLB saute une réjouissante coche dans La Presse d'aujourd'hui: Éditeur sur le bord de la crise de nerfs.
Alors voilà, mon assignation à résidence a pris fin jeudi. J'ai briqué la cuisine des Catacombes et laissé une tarte au citron dans le frigo. Kevin adore la tarte au citron. Lui et moi, on s'est chargés comme des mules de toutes mes affaires (magnétoscope, ventilateur, Cheez Whiz, acétaminophène, oreillers, feutre mou, manuscrits, spaghetti, trousse de couture, nécessaire à tabac, et cetera) et j’ai quitté les Catacombes avec une pince à linge sur les ventricules.



Mario nous a rejoints au Bunker et on s’est rendus au Salon du livre de la Place Bonaventure.



Méandres labyrinthiques et dédales intimidants, crosse à l’entrée pour faire entrer trois gars avec une invitation pour deux. Tombé d’emblée sur Hélène Girard, flanquée de Marie-Sissi Labrèche, aussi jolie aussi gentille qu’un vieil ogre gras tel que moi puisse le souhaiter en émergeant de réclusion. M'a confié que j'étais son écrivain préféré. «C'est pas ce qui est écrit dans le Voir d'aujourd'hui! j'ai rétorqué. Il est écrit que c'est Ducharme...» Et elle: «Je leur ai dit que j'hésitais entre vous deux et ils ont choisi pour moi.» Alors là, tout s'explique.



Rencontré un caricaturiste, aussi, le grand gris rigolard, celui qui parle comme Christian-Gilles et pis comme Plume, avec des r roulés comme des joints et des a qui s’étirent d’ici jusqu’à la Sainte-Catherine, mais je crois qu’ils ont été élevés ensemble dans le même coin, ça fait que ça s’explique, anyway il était cool...



Déniché Nick Tremblay, l’épine dorsale d’XYZ, un étudiant du Lac au doctorat, c’est lui qui fait tout là-bas, jamais entendu dire qu’il ait dédaigné une affectation, bien au contraire, monter les boîtes et les descendre au début, lécher des timbres et adresser des enveloppes, faire la navette entre l’infographe et l’imprimeur et le Saint-Sulpice les soirs de lancement...



...Répondre aux appels des libraires de province en colère, puis aux journalistes de médias mineurs, puis appeler les pointures des majeurs parce que l’attachée de presse pétait les plombs et qu’on n’a pas le temps d’attendre qu’elle se soigne, remplir les commandes, composer avec les écrivains hystériques, leur déboucher une bouteille et les abreuver juste assez, les suivre à la trace avec un cendrier tout en gardant un oeil sur les clients pour s’assurer qu’ils passent à la caisse, distribuer des catalogues, tenir à jour dossiers de presses et listes d’envois, tout ça à mi-temps et donnant l’impression d’être partout à la fois sans que personne ne sache son nom parce qu’il cultive la discrétion. Qui, croyez-vous, pèsera lourd dans l’édition après-demain?



Bertrand Laverdure est venu me porter mes deux exemplaires de Moebius 95 (“La correspondance littéraire”). Failli ne pas le reconnaître. Polymorphe. Ferait un superbe espion. L’ai serré dans mes bras, mais je crois qu’il n’aime pas beaucoup ça. Too damn bad. Lui ai rendu la politesse en visitant le stand des éditions Triptyque. Rencontré deux jeunes auteurs, McComber et Daigneault. Offert une tournée de vin XYZ, y compris à Robert Giroux, le capo di tutti capi, qui ne recevrait ses bouteilles que samedi. Plus tard, Circius me demande ce que c’étaient que ces pantalons-là. Je réponds que ce sont des pantalons qu’on porte en début de carrière quand on n’a rien à perdre et tout à gagner à se faire remarquer ou que ce sont des pantalons qu’on porte une fois ses preuves faites, quand on n’en a rien à foutre et qu’on invite l’aventure avec un sourire décontracté. Est-il besoin de préciser que Giroux appartient à cette seconde catégorie?



Frank Piazza passe et, me glissant derrière lui, avec une voix de rocaille crissante, j’égrène: «François Piazza? Ils laissent vraiment entrer n’importe quoi!» Son sang ne fait qu’un tour tandis qu’il en exécute un demi: me reconnaissant, il se fend de ce chaud sourire dont il m’a toujours honoré, et nous nous tombons dans les bras. Frank n’a plus de larynx, et sa parole est modulée directement à la source, rythmée et alimentée par de puissantes respirations que son thorax de forgeron exprime comme d’un soufflet.



Ce Salon, je m’y perds, aussi quand il m’offre de me mener à Jacques Lanctôt, que je cherche depuis une heure, je le suis sans hésiter. Au retour, je m’égarerai à nouveau comme un enfant d’école et devrai demander mon chemin au stand de Boréal.



Ce que j’entends dire ces éditeurs m’indigne, ce que je les vois faire m’amuse. Ils se bitchent entre eux à grands renforts de voix et de vilenie, s’accusant dans leurs dos mutuels de toute la même liste de péchés, allant du maraudage (tentative de débaucher un écrivain) au trafic d’influence auprès des ministères en passant par le favoritisme sexuel, le pilonnage sauvage et le défaut de versement de droits d’auteur.



Quand ils se lassent de cet exercice, qui les sépare, ils s’assemblent pour diffamer leurs auteurs, et alors les vannes s’ouvrent: on croirait assister à un pow-wow de pêcheurs vers dix-huit heures dans un chalet perdu au fond des bois. C’est à qui racontera la plus saignante, la plus salée, la plus salissante histoire sur un gros nom, membre présent ou passé de l’écurie de celui qui pourfend. Personne, en principe, n’y croit, pas plus qu’aux histoires de pêche, mais dans les faits chacun prend mentalement note de ce qui s’échange, insécure au point de s’imaginer le seul menteur du groupe, et ces enfantillages honteux ont des conséquences graves dans l’année qui suit, conséquences aux sources anonymes et que nul ne soupçonne, pas même ceux, parfois, souvent, qui les subissent.



Cette année, pour ne pas dire hier, j’ai décidé de faire ma part afin que cela cesse. J’ai décidé de parler franc et d’enregistrer sur papier daté ma réaction aux rumeurs qui courent sur mon propre compte entre autant d’éditeurs à la sensibilité exacerbée.



À Robert Giroux, qui est venu me dire qu’il ne me sied guère de changer d’éditeur trop souvent, je répèterai ceci: «QUOI?»



Découvert par André Vanasse en 1988 alors qu’il assumait les fonctions de directeur littéraire chez Québec-Amérique, j’ai pris la loyale et courageuse décision de le suivre chez XYZ, troquant une maison riche pour une pauvre, un éditeur de romans réputé pour un éditeur de nouvelles en difficulté. Louis Hamelin en a fait autant, de même que Lise Tremblay. Or, après toutes ces années, je suis toujours chez XYZ. Les autres sont partis depuis longtemps. Le chant des sirènes boréales.



En ai-je entendu, des jérémiades vanassiennes sur l’ingratitude de ses auteurs, qui tous l’abandonnaient sans un soupçon de regret? Pourtant, c’est à peine s’il répond à mes lettres et jamais, durant toutes ces années, un article de fond sur mon oeuvre n’a paru dans sa revue Lettres Québécoises. Quant à mon rêve d’enfance de figurer un jour en couverture, il ne se réalisera pas, on me l’a bien fait comprendre. Question de subventions, paraît-il. Question de ne pas paraître avantager ses auteurs. Question, aussi, de me rabattre le caquet. Et puis que dirait-on d’un écrivain qui n’a pas fréquenté l’université? André, ça l’a toujours tracassé. Il était prêt à accepter le crédit pour m’avoir fabriqué, tout en espérant très fort qu’on ne lui demande jamais comment il s’y était pris.



Tandis que je le vantais sur la place publique, saisissant chaque occasion de bâtir son image de faiseur de miracles (l’avait-il, la cote, entre Louis et moi et la fille de Québec?), le déclarant sans ambages meilleur éditeur au pays parce que je calculais que ce prestige rejaillirait sur moi en fin de compte, lui, lui s’employait avec diligence à ne pas me faire traduire, ni publier en Europe, haussant les épaules et soupirant dans les cocktails durant mes incarcérations, l’air de dire: «Dommage, mais qu’y peut-on?», m’adjoignant des services de presse merdiques ou hostiles ou les deux à la fois et me défiant presque de réussir à surnager malgré tout ça, de justifier mon arrogance, de faire surgir un énième lapin de mon chapeau mou, et chaque fois je l’ai fait, et là il était, ramassant ses trophées.



André Vanasse a cessé d’être mon éditeur depuis longtemps. Il a juste négligé de m’en aviser.



Jacques Lanctôt chiâlait que je lui avais fait faux-bond.



QUOI?



À la fin de Valium, je remercie Lanctôt d’une façon sincère, sentie et qui n’a pas de précédent ni d’égale dans un roman.



Les détails, je me fais toujours une joie de les raconter à qui veut les entendre: comment il me soutenait moralement durant ma détention préventive à Bordeaux, m’apportant fric et chocolat, comment il me défendait après ma condamnation, publiquement, sur les ondes de la radio d’État, contre tous les gros tas et toutes les grosses tasses qui réclamaient mes couilles sur un plateau de télévision, n’hésitant pas à engager son nom et sa réputation, supportant que soit remué son propre passé si chèrement assumé!



Cela, cependant, n’a rien à voir avec la façon dont j’ai appris qu’il claquait la porte de VLB Éditeur. Par les journaux! Dans un hôtel de Limoilou, au mois de décembre! Et l’entrefilet de citer Jacques qui, dans la foulée de l’annonce qu’il comptait fonder une nouvelle maison, s’affirmait confiant que ses auteurs l’accompagneraient aveuglément dans l’aventure. Suivait une courte liste de noms-néon; y figuraient le mien et celui de Dany Laferrière, je ne me souviens pas des autres.



Vous me demandez si j’étais fâché? Fâché ne commence pas à décrire ce que j’éprouvais. J’avais beau comprendre, deviner que Jacques avait agi en étant soumis à de fortes et urgentes pressions, il n’en demeurait pas moins que mon nom figurait là sans qu’il m’ait consulté, lâché comme une marque de commerce, un élément dans sa stratégie de négociation qui dépendait du concours de la presse pour intimider Sogides, propriétaire de VLB.



Alors, lui faire faux-bond? Nul doute que je lui aie causé du chagrin en ne lui confiant pas Valium, mais c’était oublier trop commodément comment je traite les affaires relatives à mes livres, négociant âprement pour eux chaque misérable clause et récrivant les contrats dont ils font l’objet au scalpel trempé dans l’acide et le lait, afin de leur assurer le meilleur départ concevable dans la vie précaire d'un livre.



Oh, je l’aurais fait! Je le lui aurais confié bien volontiers. Si seulement il m’avait appelé. Consulté. Demandé mon appui. Je crois difficilement que Jack aurait effectué son coup d’éclat sans s’assurer au préalable du soutien de Dany, par exemple. Non, je ne lui ai pas fait faux-bond, et il devrait cesser de le prétendre.



Quant aux autres, fretin menu et profiteurs de haute volée, tous ces gauchistes de Salon qui s’appuient sur un bras droit pour garder la maison, je suis un brin trop fatigué pour en parler.

Déprime post-départ. Chez Kevin, étrangement, je ne sentais presque plus le poids de ma propre vie, j'étais en vacances de moi-même, il s'occupait de tout. Va me falloir quelques jours pour reprendre le train en marche.

14.11.02

Scientia est potentia, latin pour, grosso modo, le savoir, c'est le pouvoir. Il s'agit de la maxime latine inscrite en surplomb du bureau de l'amiral John Poindexter au Pentagone. Lequel supervise le projet Total Information Awareness, une banque de données centralisée sur chaque citoyen états-unien, combinant renseignements recueillis par les entreprises et informations colligées par le secteur public.



C'est dans ce monde-là que je retourne.
Voilà, ma peine est terminée, sans tombereau de trempette...



Hier, Mario s'est pris le bec avec une ancienne, ancienne maîtresse qui lui ménoposait des problèmes insolubles en lui toussant au visage, puis il s'en est venu ici, on a tous trois joué au Scrabble en s'accusant pour rire d'avoir une case en moins, et Kevin a poêlé une demi-tonne de filets de goberge. Au douzième coup de minuit, les gars voulaient me filmer en train d'émerger des Catacombes, mais j'ai préféré passer mon tour. No big deal, you know? Ça leur ferait trop plaisir.



Alors je rassemble tranquillement mes bagages. Plus tard, nous passerons au Bunker avant d'aller assister à l'ouverture du Salon du livre. Les mots me manqueront pour remercier Kevin. Heureusement, un demi suffira.

13.11.02

Quelques heures à tirer avant minuit. Un parfum de brandy flotte dans l'avenir immédiat.

12.11.02

Nuit de cauchemars familiers sur trame d'impasses et de culs-de-sac. Me réveillais, me relançais bravement dans le noir, me retrouvais au volant d'une camionnette privée de frein dans une cour bétonnée privée de sortie, dans une épicerie qui n'ouvrait jamais pour moi, dans un ventre incapable de m'expulser...
À cet instant précis, partout, à travers le monde entier, des dizaines de milliers de types reniflent leur slip pour déterminer s'il est temps d'en changer.

11.11.02

Jeudi, je fêterai mon émancipation en ne répondant pas au téléphone de toute la journée!



Quand au juste ai-je cessé de manger pour me nourrir et commencé de le faire pour me réconforter? Tout est oralité chez moi, faut toujours que j'aie un truc aux lèvres: mot, mégot, goulot, gigot...



Aujourd'hui, jour du souvenir. Il reste quinze poilus vivants au Canada, soixante-huit en France. Tous centenaires, tous traumatisés par ce conflit d'un autre âge qui en tranchant dans la jeunesse a défini leur vie. Hommage et coquelicot.

10.11.02

Kevin parti peinturer chez ses ashkénazes de Hampstead. Aurait dû commencer hier au coucher du soleil, mais son corps l'a trahi. Le patriarche va le suivre à la trace en lui suggérant des retouches, et la jeune femme lui adressera des sourires qui lui feront s'emmêler les pinceaux.



Je compte les heures avant la fin de ma sentence, me trompe, recommence.

9.11.02

En 1980, je prophétisais devant un auditoire d'amis incrédules que l'on verrait de notre vivant le déclin de l'empire McDonald's. Or, avec la fermeture de 175 restaurants dans dix pays, on peut certainement avancer que le zénith est derrière et le nadir en vue.



Par ailleurs, l'annonce du report de l'ouverture de la Grande Bibliothèque (de fin 2003 à fin 2004) me réjouit pour des motifs purement égoïstes, car la fermeture de la Centrale située près de chez moi ne m'arrange pas.

8.11.02

Les médias nationaux s'alarment: un gros tas de sans-abri dorment par terre. À l'intérieur! Du Refuge des jeunes, de la Maison du Père, du Old Brewery...



Certains sans-abri envisageraient même de coucher dehors pour protester contre cette intolérable situation! Hmmpf...



Me semble qu'on devrait plutôt parler de sans-ami. Ça fait trois mois que je couche sur le plancher et je suis diablement content que K m'aime.



Eux, ces pauvres âmes, leurs amis sont là-bas d'où ils viennent: les régions.



Ils ont dix-sept ans ou vingt-trois et Bigras se graisse la gueule à les réfugier au lieu de dénoncer la raison de leur exil: ces enfants (tous des gars) n'ont pas de famille. Élevés par des femmes qui ont évincé le père de leur vie parce que c'était ce qui se faisait à cette époque, ils errent comme autant de Mychkine prostitués, l'oeil hagard, la lèvre froide.

Idée de titre pour un roman style russe, genre: Dettes et déshonneur.
Ajouté un fichier sonore à la page Vocalises: Steve raconte une bonne et juteuse histoire.
Kevin bouche les trous dans le mur avec du plâtre. J'ai glissé le Voir d'hier sous la canisse de bagosse afin de préserver la levure du froid des tuiles. Ma journée est faite.

7.11.02

Yann Martel est dans la soupe depuis que le New York Times a fait état des similarités troublantes entre Life of Pi et Max and the Cats, un roman du brésilien Moacyr Scliar. Réaction de Vanasse, son éditeur québécois (aussitôt que ses parents auront complété la traduction française): «Est-ce qu'on va accuser Yann Martel d'avoir plagié la Bible parce qu'un homme est dans une barque avec des animaux et que ça ressemble au déluge?» Sacré André.
Si tout se passe comme je le vois, ce n'est pas une préface que K rédigera, mais deux, voire trois.



Une maintenant, les suivantes au fil des ans...



Lui sera vieux, moi mort, mais c'est alors qu'on verra bien ce qu'on verra! N'avais-je pas raison, K, d'avoir tort?



Je t'agace. Je veux juste gagner une fois dans ma vie à Pile ou Face.
CBS intente une poursuite contre ABC. Motif: violation de copyright. Objet: Survivor, un de ces Reality Shows dont on craignait tant l'an dernier qu'ils supplantent la fiction. CBS fait valoir ses droits d'auteur sur la réalité telle qu'imitée par ABC dans son show de l'été prochain. Alors ou bien on peut breveter le vrai, ou alors c'est du faux et on nous ment en le présentant comme du vrai, auquel cas cela demeure brevetable mais sujet à procès pour fausse représentation. FAUSSE REPRÉSENTATION, une production Christian Mistral, sur un écran près de chez vous.

6.11.02

Des gens intelligents qui m'aiment surveillent mes arrières. I shalt not fear.
Hier, une visite et deux appels.



La confiance règne chez les carcérologues. J'imagine tous ces diplômés malaxant les statistiques et calculant les probabilités qu'un condamné sursitaire sorte de chez lui après cinq jours, dix-huit, quarante-deux. Qu'il se sente libre après un premier appel à quatre heures et demie et se fasse ramasser dans un bar vers les vingt heures douze. Comme cela doit les faire chier de me trouver, toujours, bien au chaud dans le profond des Catacombes. Fidèle à l'appel.



Kevin vient de mixer une canisse de bagosse. Sera prête pour les Fêtes. A utilisé un seau d'huile végétale de seize litres récupéré parmi les vidanges des voisins. Quand je songe à toutes les fois où leur cuisine a offensé ses narines, je trouve ça d'une ironie suave. Après l'avoir désinfecté, il a garroché là-dedans deux kilos de sucre blanc, un kilo de cassonade, un demi-litre de sirop de maïs, des cataractes d'eau chaude, six sachets de levure, quatre trognons de pomme et de grands coups de cuiller de bois. Une recette d'Halloween pour Noël.



Sitôt après, on s'est assis autour de ce chaudron improvisé, moi et le sorcier; on a regardé s'agglutiner les bactéries revenant à la vie comme autant de spermatozoïdes spectraux et tout cela se précipitait vers le centre ainsi qu'en un Big Bang géniteur de galaxie.



«Écoute! qu'il soupire, le nez dans la chaudière. Ça pétille! Ça chante! Ça vit!»

5.11.02

Extrait de Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand (merci à Daniel Marotte):



De Guiche vient de proposer à Cyrano de soumettre ses oeuvres au puissant Richelieu, qui en "corrigera seulement quelques vers". Cyrano se rembrunit. De Guiche lui reproche sa fierté.



DE GUICHE

Vous êtes fier.



CYRANO

Vraiment, vous l'avez remarqué ?

Et que faudrait-il faire ?

Chercher un protecteur puissant, prendre un patron,

Et comme un lierre obscur qui circonvient un tronc

Et s'en fait un tuteur en lui léchant l'écorce,

Grimper par ruse au lieu de s'élever par force ?

Non, merci. Dédier, comme tous ils le font,

Des vers aux financiers ? se changer en bouffon

Dans l'espoir vil de voir, aux lèvres d'un ministre,

Naître un sourire, enfin, qui ne soit pas sinistre ?

Non, merci. Déjeuner, chaque jour, d'un crapaud ?

Avoir un ventre usé par la marche ? une peau

Qui plus vite, à l'endroit des genoux, devient sale ?

Exécuter des tours de souplesse dorsale ?...

Non, merci. D'une main flatter la chèvre au cou

Cependant que, de l'autre, on arrose le chou,

Et donneur de séné par désir de rhubarbe,

Avoir un encensoir, toujours, dans quelque barbe ?

Non, merci ! Se pousser de giron en giron,

Devenir un petit grand homme dans un rond,

Et naviguer, avec des madrigaux pour rames,

Et dans ses voiles des soupirs de vieilles dames ?

Non, merci ! Chez le bon éditeur de Sercy

Faire éditer ses vers en payant ? Non, merci !

S'aller faire nommer pape par les conciles

Que dans les cabarets tiennent des imbéciles ?

Non, merci ! Travailler à se construire un nom

Sur un sonnet, au lieu d'en faire d'autres ? Non,

Merci ! Ne découvrir du talent qu'aux mazettes ?

Etre terrorisé par de vagues gazettes,

Et se dire sans cesse : "Oh, pourvu que je sois

Dans les petits papiers du Mercure François ?"...

Non, merci ! Calculer, avoir peur, être blême,

Préférer faire une visite qu'un poème,

Rédiger des placets, se faire présenter ?

Non, merci ! non, merci ! non, merci ! Mais... chanter,

Rêver, rire, passer, être seul, être libre,

Avoir l'oeil qui regarde bien, la voix qui vibre,

Mettre, quand il vous plaît, son feutre de travers,

Pour un oui, pour un non, se battre, -ou faire un vers !

Travailler sans souci de gloire ou de fortune,

A tel voyage, auquel on pense, dans la lune !

N'écrire jamais rien qui de soi ne sortît,

Et modeste d'ailleurs, se dire : mon petit,

Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles,

Si c'est dans ton jardin à toi que tu les cueilles !

Puis, s'il advient d'un peu triompher, par hasard,

Ne pas être obligé d'en rien rendre à César,

Vis-à-vis de soi-même en garder le mérite,

Bref, dédaignant d'être le lierre parasite,

Lors même qu'on n'est pas le chêne ou le tilleul,

Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul !
Un lecteur veut savoir ce que je pense de l'aisance avec laquelle on peut se procurer gratuitement des chansons sur Internet (en particulier les miennes!)



Réponse: je pirate à tour de bras. Je fauche, détourne, kidnappe et vole, j'emprunte et je m'approprie sans l'ombre du sourcil d'un cas de conscience toutes les tounes qui me font envie. Quant aux miennes, mes chèques de droits d'auteur n'ont pas diminué, tout au contraire, et si les gens piquent ma musique, c'est qu'elle est déjà très populaire. L'industrie du disque est une honteuse salope qui vous vend vingt fois trop cher quatorze chansons dont vous n'avez rien à branler autour d'une seule qui vous allume. Pourquoi ne pourriez-vous acheter seulement l'équivalent de nos anciens 45 tours, comme le plus clair de toute l'Europe le fait déjà?
Hier, Steve est venu faire son tour et Kevin a mitonné cette fondue savoyarde qu'il promettait depuis deux bourses. Ça valait le coup d'attendre. Je n'ai malheureusement pas le droit de dire ce qu'elle contenait, car certains ingrédients me sont interdits. On a aussi fait des prises de vue avec la caméra de Catherine. En soirée, on s'est regardé un film starring Crowe et Pacino. Je jouais avec mon nouvel anneau en essayant d'imaginer celui qui l'a originellement porté, un légionnaire ou un boucher romain, quelqu'un avec du sang sur les mains, une femme et des enfants, une mère et une mort et l'humain désarroi de disparaître.



Kevin boit de mieux en mieux, scientifique et sérieux, avec la sérénité que confère le libre-abitre. Prend juste ce qu'il lui faut. S'endort sans crainte. S'éveille joyeux. Dompte le feu de l'homme.
Aujourd'hui, si la tendance se maintient, ce Journal-Toile va franchir le cap des dix mille visiteurs. Get a life, people!
Ma poésie me pose problème. Encore. Des années après en avoir divorcé, elle me harcèle et réclame toujours une sorte de pension alimentaire, malgré la laideur des enfants que je lui ai faits, ou peut-être est-ce à cause de cela, car il est vrai que je promettais beaucoup...



Poésie, premières amours. Je la concevais avec un siècle de retard dans un simili-pays qui engendrait des poètes par centaines, tous plus hippies les uns que les autres, avant de se faire couper les tifs et d'aller enseigner leur truc et le publier et le lire entre eux. Puis, j'ai fondu mes "mauvais" poèmes en une prose lyrique incandescente et on m'a célébré sans relever l'imposture, car me dénoncer aurait été se pointer eux-mêmes du doigt. Quand j'ai connu Franz-Emmanuël Schürch, il avait dix-neuf ans et sa poésie ressemblait fort à ce que la mienne aurait dû être si elle m'avait obéi, aussi j'ai renoncé d'un coeur léger au travail du poème, confiant que Franz s'en chargerait et que ça resterait dans la famille. Cela ne s'est pas concrétisé. Mon fils, plus tard, m'a fait miroiter de riches possibilités. Sa plume annonçait une hallucinante marchandise qui ne fut, ni ne sera, vraisemblablement jamais livrée. Il y a maintenant Kevin, qui fait face au même lot de difficultés: comment être poète hors des normes poétiques?



Un ami, directeur littéraire, m'adresse ces quelques mots qui me causent un certain souci: «Si je peux me permettre une confidence un peu rude, cher Christian, j'ai tout lu ton oeuvre de prose que je considère comme importante et fort bien écrite (je suis un fana de ton journal et j'ai eu de beaux moments d'émotion en y lisant mon nom à deux reprises). Par ailleurs, j'ai quelques doutes quant à ta poésie. Je voulais te signaler mes propres préjugés avant que tu ne te décides à nous faire parvenir tes oeuvres. Parce que je sais que ton nom seul est un gage symbolique assez fort pour publier tout ce que tu peux soumettre à un éditeur. Mais je t'invite tout de même, ne connaissant rien de ton dernier opus, chaleureusement, à nous soumettre ton recueil. Es-tu ouvert au peaufinement et au travail pré-éditorial? Je compte sur ton ouverture d'esprit et ton professionnalisme littéraire."



Ceux qui ne connaissent l'édition que de l'extérieur ignorent à quel point ces propos sont rares, donc précieux. Pour tout dire, personne ne m'a parlé comme ça depuis 1988. Est-ce que ça me fait plaisir? Non. Ça me heurte et ça me trouble. Je le prends pour ce que c'est, cependant: l'opinion franche d'un honnête homme qui s'adresse amicalement à un autre honnête homme, pas à un symbole, pas à une image.



Suis-je ouvert au peaufinage? Non. Au travail pré-éditorial? Foutre non. Cela ternit-il mon professionnalisme littéraire? Tout dépend de ce que l'on entend par là. Non, je ne suis pas un professionnel du poème et ne compte pas le devenir. J'aurais pu, bien entendu, par la vertu de mon nom seul, ce gage symbolique. Mais je crois que la poésie professionnelle a perdu son chemin, qui est celui du coeur des hommes. Je crois que mes poèmes devraient être publiés tels quels, verrues et tout, comme partie intégrante de mon oeuvre, celle d'un (p)artisan sérieux, engagé, dérisoire et lumineux. Je n'ai jamais voulu publier au prix de ma personnalité. Mes lecteurs le savent et l'apprécient, c'est même pourquoi ils sont mes lecteurs. Ce gage symbolique que représente ma signature ne m'est pas tombé du ciel, il est fondé sur du vrai, du solide et du tendre, il est assis sur de l'historique en béton armé. Irais-je leur donner à lire, à ces gens qui m'aiment, m'aimeront, qui me font, qui me feront confiance, des vers peaufinés par un autre avant qu'on ne les soumette à un travail pré-éditorial? Faire cela serait engager ce gage symbolique, le mettre au clou, sans espoir de le récupérer jamais; or, j'ai tout porté au pawn shop dans ma vie, sauf mon art.



N'empêche, mieux vaut se faire opposer un refus par un ami, et avec cette élégance. J'ai presque rien senti.



L'Amériq regorge de ressources.

4.11.02

Cette année, Kevin s'est surpassé. À mon dernier anniversaire, il m'avait offert deux pièces de monnaie millénaires frappées à l'effigie de l'empereur Constance II. Voilà qu'il m'arrive avec un anneau de bronze romain, probablement un anneau de citoyen, découvert lors de fouilles archéologiques en Bulgarie, anciennemment la Thrace. Je le passe à mon doigt avec beaucoup d'émotion. L'histoire, coulée et martelée dans ma main droite. L'amitié infrangible et circulaire. La perennité de l'airain.
Hier, passé l'après-midi avec Mario Lemoine à jouer au Scrabble, et la soirée à écouter des vieux disques en chiâlant.



Ce matin, deuxième neige. Moins drôle. Cependant, à Paris, Guillaume vient de remporter le prix France-Québec.

3.11.02

Justine a débarqué avec des croissants et du jus d'orange, du café frais moulu, du fromage et du beurre salé. Déjeûner me rend redoutable. J'irais défricher un bout de forêt si j'avais le droit de sortir.

2.11.02

Ce soir, Annie me fait le soyeux cadeau de se dénuder un peu, oh! juste un tout petit peu, pour moi, mes yeux, sur le confessionnal cathodique. Quand elle n'est pas occupée à suggérer que je suis une sorte d'assassin, elle écrit de très belles et très pertinentes choses sur le genre si particulier du journal.



Ce que serait cette créature si on ne l'avait trop tôt meurtrie, je n'ose me le représenter, de peur de retomber en amour avec ce qu'elle sait parfois être.



Je vais dormir, bordel de Dieu. Seul et serein. For he's a jolly good fellow, for he's a jolly good fellow...
turcotte.jpg

Quelqu'un peut-il me murmurer à l'oreille le nom de l'enfant de salaud schizo-castrat qui a choisi d'illustrer la une du dernier Voir avec cette épouvantable photo d'une femme superbe? Déja que ce canard snobinard dégueulasse ne se laisse plus lire qu'avec des gants de caoutchouc, faut-il encore qu'on déconcrisse le lisse et doux visage d'Élise Turcotte?



Tshi, le photographe, on croirait un Chinois mais ce n'est qu'un Français, j'ai eu à faire à lui déjà, il te balance une vieille Hasselblad rescapée de la guerre de Corée sous le nez puis il se met à te pomper d'un ton égal et cauteleux: «Précipite ton visage vers l'objectif! Écarquille les yeux, donne du menton! C'est bon, c'est bon!» Il a même un carré de scotch blanc collé au bord de la lentille, à l'endroit précis où il souhaite que l'on louche. J'ai posé pour des mug shots plus sympathiques que les clichés de ce sinistre kid kodak.



Qu'on fiche la paix aux réfugiés algériens et qu'on envoie Tshi faire du bertillonnage à Fleury-Mérogis.



Voir. Cet infect gang de babas débiles fout la nausée à toute la ville depuis bien trop longtemps avec la feuille de chou pourri qu'ils nous excrètent chaque jeudi après-midi. Si seulement les annonceurs réalisaient que les chiffres de distribution sont aussi gonflés que la rédaction!



Fucking piece of crap. Wouldn't wipe my dog's ass with the stinking rag.
J'aurai trente-huit ans à minuit.



Jamais je n'ai été si fort, si la force est tranquille et consciente de son inanité.



Mais si la force est appétît et joie des jarrets jeunes, alors je n'ai jamais été si faible.



Trente-huit ans, impatient sans passion, sédentaire édenté, grand poète raté, père absent payant pour maintenant, bon amant de l'ancien temps, tour à tour écrivain et brillant mais si peu simultanément, et je m'ennuie de ma maman comme à chacun de mes inexorables anniversaires.
Durer vingt ans, durer vingt ans... L'INSCRIPTION ARAMÉENNE (Jacques fils de Joseph frère de Jésus, traduction libre) SUR L'OSSUAIRE (coffre en pierre à chaux couleur sable) DONT LA DÉCOUVERTE EN ISRAËL FUT ANNONCÉE LE MOIS DERNIER, elle a duré deux mille putains d'années sans que personne ne la lise ni ne s'avise d'un quelconque intérêt. Hier, lors de son déplacement vers un musée de Toronto, la relique a craqué de partout, au point qu'on propose en rougissant d'en combler les fêlures avec une sorte de plastic limestone pigmenté, cependant qu'on blâme impacts et vibrations attribuables aux aléas inévitables d'un tel transport, et cependant que les Églises se mobilisent pour discréditer cette bouleversante trouvaille, et cependant que les actuaires font des heures supplémentaires et tout ce temps je m'interroge sur tes questions, KV: qui sait ce que durera l'écrit, et qui sait où se situe la substance de l'écrit, depuis la pensée jusqu'à son expression, et de celle-ci à l'impression produite dans l'esprit du lecteur, et de là par sa bouche de conteur jusqu'aux ouïes de ses petits-enfants? Que vaut un mot qu'on ne voudra pas lire ou qu'on incomprendra ou dont on cassera ce sur quoi il est gravé?



Impacts. Vibrations. Transports. Ya'akov bar Yosef akhui di Yeshua...
Toujours, à chaque instant me rappeler que l'on envisage différemment l'histoire, celle du monde et la sienne propre, selon qu'on est ici et maintenant ou autrefois là-bas, quand elle paraissait une possibilité fraîche et riche, non encore mise à l'épreuve, une traversée à venir dénuée de précédent, un sol en friche, un vertueux péché de jeunesse en micro-jupe d'organdi et gants de peau et rien d'autre.
Kevin, candide, m'informe qu'il compte fonder sa préface sur l'ignorance et l'inquiétude. Goutte de glace le long de mon dos large. Inquiétude que ce livre ne tienne pas le coup vingt ans, ce qui revient à ne pas se trouver suffisamment intéressant. Ignorance de mes livres précédents: il se refuse à lire de moi autre chose que Vautour, et doute cependant à voix haute que Vacuum s'encadre élégamment dans le cycle VV. Je me fâche: Tu ne vas tout de même pas me pondre un de ces travaux de bachelier finement et vitement torchés pour la note? Je te l'ai demandé à toi parce que tu sais des choses de moi que nul autre ne soupçonne. Mais si tu n'as rien compris autrement que de travers, s'il t'est impossible de concevoir que ton meilleur ami puisse être cet écrivain dont on discute et que je sois lui et qu'il soit celui qui écrit ceci, alors c'est que tu voles trop à ras de terre pour jamais t'abstraire de cette pesanteur qui t'effraie.



Arrache-toi! Pense de façon souple, sérieuse et scandaleuse! Exécute la dernière ascension, grimpe la dernière marche, pose un acte de foi, garroche-toi dans l'éther!



Si ce n'est toi, un autre finira fatalement par le faire.
Ma tribu bénéficie de moi, et moi d'elle. Un homme n'est rien sans une tribu, sinon un homme, mais rien de plus...



Hier, je me suis payé la traite.



J'ai beau conserver un appartement sur le Plateau, il n'empêche que je ne jouis plus du privilège de l'approcher à moins de 100 mètres, d'ici au 14 novembre, si bien qu'à toutes fins utiles, je me suis retrouvé en sortant de la Caisse avec une envie de chier jupitérienne et nulle part où la satisfaire dans la légalité. Christian Mistral réduit à ça: sans endroit pour chier sur le Plateau. Au PFK, fallait des clés. J'ai donc arpenté Papineau, pressé, pathétique et callipyge par la force des choses, jusqu'à ce que l'épiphanie me frappe de plein fouet: Perrazino! Paul Perazzino, mon barbier! Je suis entré dans son échope et j'ai demandé si je pouvais utiliser sa toilette, attendu que je me ferais raser de près, après...



O, Paolo! Tu rases comme au temps de Capone; la mousse menthol brûle et la serviette est chaude avant la froide, et ta main tient ce rasoir à main avec la ferme et douce décision d'un père. Tu aurais voulu que je te laisse me couper les cheveux, mais je les garde pour la durée de l'hiver. Sois donc patient, car au printemps j'irai suant sacrifier ma samsonerie sur ton plancher de formica.

1.11.02

Spider-man

Chouette journée. Première neige paresseuse, flosculeuse, enfantine. Descendu chercher du fric en ville avec Kevin. Tandis que je faisais la queue à la Caisse, il m'attendait dehors sur un banc du Parc Lafontaine et une mitraille de grêle lui a chatouillé la citrouille.



La case postale du Bunker débordait d'invitations à de capiteux partys littéraires auxquels je ne pourrai assister. Toute la fichue saison d'automne me passe sous le nez. Tous ces vins de ruelle et tous ces faux sourires, ce meilleur et ce pire qu'on soupire dans nos dos mutuels, ce nettoyage des os qui tant nous occupe ailleurs, écrivains ! Tout ça me manquera, tout cela me revient. Devrais les envoyer au voisin, ces cartons chic, qu'il en profite au moins...



Loué Spider-Man. Éric Drouin vient d'arriver les mains pleines.
Guère le choix de solliciter à nouveau l'autorisation de sortir. Chèque à changer, air à respirer, ville à fouler.

31.10.02

Piqué un roupillon. Réveillé par deux sorcières d'un mètre de haut. Bête, mais j'avais beau savoir que c'est l'Halloween, il ne m'est jamais passé par la tête que des mioches pourraient sonner ici. La seule chose dans cette maison qui ressemble à des bonbons, c'est mes comprimés d'Atasol.



Eu égard au manuscrit de Fange et Furie, Vanasse m'informe que XYZ ne publie plus de poésie pour cause de «ventes anémiques». Rien de nouveau sous ce soleil. Autrefois, je m'étais livré à un petit chantage, acceptant de lui céder Vautour s'il publiait aussi Fatalis, ce qui donna lieu à la création de la collection Papiers Collés. Mais je n'ai plus envie de jouer à ça. Irai probablement voir du côté de chez Triptyque.
Dans ce journal, dans ce roman, j'énoue l'étoffe rêche d'une existence américaine, la mienne; j'époutis son tissu et j'épince sa trame, j'aspire à vide, je vacuume.
Insomnie n'est pas qu'un titre de film à la mode.



Je lis Le jugement de Dieu, une novella avant la lettre d'Henri Troyat sur l'ordalie. Comico-tragique. Le gars ne brûle pas et en veut à Dieu de lui refuser le châtiment comme à tous ses enfants. Écrit comme on n'écrit plus, hélas.

30.10.02

Trouvé cette citation de Jean-François Champollion qui me fait penser à Kevin et, dans une moindre mesure, à moi-même: «Lorsque le monde réel pèse sur notre coeur, le monde idéal doit être notre refuge, et ce monde-là, c'est l'étude: elle nous fait oublier momentanément les dégoûts de la vie en nous transportant hors de nous-mêmes; en élevant nos idées elle double notre courage et nos jours se passent moins sombres et plus rapides.»
Chaque fois que le doute s'immisce insidieusement, je repense à cette vieille dame aux joues fraîches et rouges et rondes comme celles de grand-mère, rencontrée au Salon du Livre au début des années 90. Venant vers moi, l'oeil pétillant, elle me confia que la lecture de Vautour l'avait aidée à porter le deuil de son époux, décédé subitement après cinquante ans de mariage...



Soufflé, je méditai la portée de ces paroles. Comment l'histoire d'un type de vingt-sept ans claquant du coeur pouvait-elle s'assimiler au drame vécu par cette femme? Et pourtant, elle y avait trouvé quelque chose d'utile, quelque chose d'absolument imprévu par l'auteur.



J'ai compris, alors, ce que je ne faisais que soupçonner jusque là: c'est une erreur de concevoir un roman comme une auberge espagnole, avec de tout pour tous. Ce n'est qu'en passant par le particulier qu'on peut accéder à l'universel. Les exégètes mentent en prétendant décortiquer un texte et y retrouver les intentions de l'auteur. En analyse littéraire, on fait ainsi passer les écrivains pour bien plus intelligents qu'ils ne sont en réalité, décourageant les jeunes et protégeant la mystique. "Qu'a voulu faire untel dans ce passage? Comment s'y est-il pris?"



Demandez à la vieille dame.

29.10.02

Réveillé avec la tête d'Oscar Wilde, du moins en apparence. Me surprenant dans le grand miroir de la salle de bain, n'ai même pas osé me tourner le dos; suis sorti sur la pointe des pieds à reculons.



Le restant de ma molaire est tombé avant-hier en mâchant du saumon. Adieu, partie de moi.

28.10.02

M'a fallu tout mon petit change pour ne pas enfiler mon manteau, mes bottes et mon chapeau et aller toctoctoquer à l'huis de mon ardente Annie. Me faudra toute la lente, l'humide nuit.
K pas content.



Bougon, fait la gueule, angoisse et s'impatiente. N'a rien bu depuis deux jours. Prévoit prolonger ce comportement étrange au moins jusqu'à la fin de la semaine.



Vrai, chaque session ramène son moment de vérité, quand le bulldozer ne saurait compacter davantage; alors, K se réfugie chez lui, abstème et studieux, abattant de l'ouvrage. C'est la semaine où on ne le voit pas au Bunker.



Sauf que celle-ci, de session, se passe autrement: autant ces dernières semaines il n'avait plus de Bunker où se réfugier des Catacombes, autant il n'a plus de Catacombes à lui tout seul où échapper à la sulfureuse influence du Bunker.



Conséquemment je ne sais plus, moi non plus, où me mettre.
Radio-Canada rediffuse L'Odyssée homérique. Homère, l'aède inventeur du flash-back. Du fleuve Scamandre à la plage de galets de Dexia, revoici tout le fabuleux voyage de retour d'Ulysse, le triomphe et la démolition de l'orgueil et de la ruse.



Un journal m'a demandé de citer mon premier souvenir de lecture pour un supplément à paraître, et j'ai nommé La Bible en images, mais à y bien réfléchir, j'aurais pu tout aussi bien mentionner L'Odyssée.



Quel dommage qu'on n'ait pas programmé cette superbe série à une heure où les kids sont rentrés de l'école.

27.10.02

Ce jour d'hui, recul de soixante minutes. Maintenant et à l'heure de notre mort?



K a écrit un sonnet magnifique, Captation. Pour bien faire, c'est de cent ans que j'aimerais reculer, le temps qu'il puisse en donner lecture au Château Ramezay devant l'École Littéraire de Montréal, et que Charles Gill, Arthur de Bussières et Albert Ferland puissent le ramener chez lui en triomphe sur leurs épaules. Pas sûr qu'ils viendraient jusqu'à Parc-Extension, notez, et puis qu'y trouveraient-ils sinon des vaches et des cochons?



Rêvé que Natali avait eu un autre fils de moi dont j'ignorais tout. C'est Fantasio qui m'en faisait la révélation. Son nom: Mario-Henri. Où, dans quelles eaux boueuses va-t-on parfois pêcher nos songes?

25.10.02

Le bonhomme tombe en morceaux. Aujourd'hui, c'est la branche droite de mes barniques. Kevin a effectué une réparation de fortune avec de la résine d'époxy et du fil électrique.



Pendant ce temps, j'écoutais les débats à l'Assemblée Nationale. Ministres et députés n'avaient que le mot unanimité à la bouche. Le Québec n'aime pas moins ce concept que l'Irak. Cancer du consensus.

24.10.02

Bon Jack, l'agent. Paraît qu'ils m'ont appelé deux fois lundi matin à quinze minutes d'intervalle, sans succès. Pour cette fois, il veut bien laisser couler.



Traversant le parc Jarry pour la première fois depuis trente-cinq ans, n'ai-je pas entrevu le spectre rouge de Rusty Staub se secouant les fesses avant de claquer un coup de circuit? Et celui, plus pâle, d'un petit garçon retenant son souffle...
Yann Martel, neveu de Réginald et fils d'Émile, a emballé le Booker Prize pour Life of Pi. À croire que la littérature du ROC entretient de meilleurs rapports avec sa métropole que la nôtre. Me revient en mémoire une réception chez l'ambassadeur Martel à Paris: le caniche de Claire Dé avait vomi sur le tapis et j'étais bien content que ce fût lui plutôt que moi, pour une fois.
Sans sou ni maille. Cet excellent Bertrand Laverdure, de la revue Moebius, a mis la main à sa poche pour me tirer d'affaire. C'est K qui est allé le rencontrer hier en mon nom à la bibliothèque nationale.



Plus tard aujourd'hui, je rencontre mon agent de probation. J'irai à pied en inspirant l'automne.

23.10.02

Quelques jours ago, Marlène appelle de Floride. Je l'informe de ma situation, et comment son frère Hans l'a sensiblement améliorée. Elle raconte comment sa fille trippe sur les tounes à Dan, et sur Dan, et qu'elle lui a expliqué la différence entre auteur et interprète. «I guess I fucked the wrong guy», qu'elle dit. «That's what I always thought», je dis. Elle dit: «Sauf qu'il est plus sexy que toi, ces temps-ci». «Oui, je dis; mais moi aussi, je finirai par avoir mon illumination». «T'en as eu assez, des illuminations», elle dit. «Autrement, kestu fais de ton temps depuis le divorce?» je demande. «Je baise, mon grand. J'ai trente ans!» elle répond. «Tu viendras pour les Fêtes?» je m'enquiers. «No way! Montréal, c'est fini. J'y ai vu des choses qui m'ont trop bouleversée...» On s'embrasse, on raccroche, elle rappelle, elle ajoute: «Ma fille veut te parler! Quatre ans, mais elle se souvient de toi au Jour de l'An...» Je n'y vois pas d'objection, mais la puce change d'idée. On raccroche. Décrocher, raccrocher, what the fuck, that's our life.
Justine m'envoie une liste de suggestions gentilles pour "m'enlever les maux de la bouche": mendier sur le net (Miller, le sait-elle? faisait ça dans les magazines il y a cinquante ans; Andrée Champagne recevait des conserves adressées à Donalda, et Jean-Pierre Masson des torgnoles destinées à Séraphin...), m'adresser aux dentistes en herbe de l'université, demander à Kevin de me péter la gueule puis me présenter à l'urgence...
Idée pour Vortex Violet: une série d'entretiens avec des quelqu'uns et des nobodies et des entre-deux. Titre: Vis-à-vis.
Coup de fil d'Éric Drouin. «Dis donc, Christian, je me rappelle pas trop bien: l'autre soir, est-ce que j'ai fait le cave?»



On a tous faits les caves, mon chum. T'inquiète pas avec ça.
Seconde saleté de visite à domicile. La première, le type avait l'air d'un messager à vélo. Cette fois-ci ils étaient deux, un maître flanqué d'un apprenti. L'aîné, celui qui parlait, le faisait avec un sens de l'humour en uniforme qui réveille très mal. Quand il m'a dit que ma photo ne me ressemblait pas à cette heure-là, j'ai suggéré qu'il revienne à une autre heure.



Damnées dents! J'ai toute la gueule en souffrance.



Kevin va casser la croûte avec Catherine. Pour fêter ça, il a astiqué le lavabo. Ça m'a encouragé et j'ai récuré la cuvette.

21.10.02

Au téléjournal, le gros Bureau sédentaire et stoïque nous alarme: nos jeunes sont obèses! Nos jeunes foutent rien! Nos jeunes épaississent devant la tévé! Hypertension, ostéoporose, estime de soi dégueulasse, non mais keski sont cochons nos lardons!



Hier, Drouin est venu et on s'est un peu battus, puis K a transformé le mur du couloir en gruyère; aujourd'hui, il soigne ses jointures et sa cheville au lit, enlaçant sa tristesse, et je lui fais cuire des tartes aux pommes pleines de canelle sur la pointe des pieds.

20.10.02

Catacombes




Petit poème improvisé pour KV




Sali les mains

En dessinant parmi les taches,

Taillé chemin

à l’envergure du panache;

Les faons suivront

Demain dans son rouge ravage,

Des gens vivront

De ce qu’il aura mis en gage.

La vie l’avale,

Il la digère et la recrache

Son carnaval

S’installe à peine qu’il s’arrache

Aux chapiteaux

Définitifs et au circuit

Des cirques, zoos,

Foires, parcs et camps de gypsies.







Montréal s'automnise; la cour est jonchée de feuilles jaunes et les enfants jouent dedans, de lourdes écharpes nouées à leurs cous.



Kevin planche à toute vapeur sur une dissertation relative à l'origine des universités. Justine n'est pas venue déjeûner. Blâme le syndrome pré-menstruel.

19.10.02

Le frère de Vautour me fait signe sur le Forum. D'anciens accents de guitare me reviennent en mémoire. Il écrit que son frangin serait fier de moi. Je le crois aussi et ça me serre le coeur.

18.10.02

«It is a riddle, wrapped in a mystery, inside an enigma!» disait Churchill de la Russie, et songer à Annie me fait penser à Churchill prononçant ces graves et drôles et désemparées paroles.



D'Annie, je n'ai guère parlé ici depuis des mois. L'émoi que cela lui cause m'en retenait, et j'ai plus ou moins accepté de mentir par omission en ne mentionnant pas son nom. L'intégrité de ce Journal s'en ressent fatalement, car enfin, elle est souvent l'objet de mes pensées comme de mes conversations avec Kevin. Et je la lis toujours sur le Net avec autant d'intérêt qu'avant, même si la ferveur est différente. Script, Annie et Strohem sont diverses faces d'un seul dé byzantin qui se relance infiniment lui-même sur le tapis de jeu en annonçant banco! jusqu'à l'ultime, extatique et spectaculaire saut de la banque...



Ce printemps, pour un très bref moment béni, nous savions lire entre nos lignes, mais voici venu l'automne et je ne distingue plus la fable du vraisemblable. Voilà qui devrait l'enchanter.



D'autre part, et puisque je suis d'humeur à me confier, j'ajouterai que mon décevant héritier m'évite chaque fois que j'éprouve des ennuis qui pourraient me mettre en position d'avoir besoin de lui (l'été dernier, c'était ma jambe cassée). Pas un jour ne se passe sans que je vilipende son attitude dans la zone de mon coeur que sa naissance n'a pas transformée. Mais c'est une bien petite zone, une province attardée, sans signifiante influence sur le gouvernement fédéral de l'organe en entier.
Ce cher Hans m'a appelé et, tentant un brave mais vain effort pour maquiller sa voix, a réclamé de parler sur-le-champ au "matricule quatre-vingt-neuf soixante-huit"!



Va sans dire que je l'ai reconnu tout de suite, ça fait des années que ça dure, ces farces déficientes, mais outre qu'il ait le sens de l'humour du docteur Mengele, force est de reconnaître que son coeur est à la bonne place: il m'a demandé comment j'allais et si j'avais besoin de quelque chose, il m'a témoigné cette même amitié qui m'honore depuis le premier soir, il a fait preuve de la même grandeur d'âme qui a toujours fait mon admiration et mon envie. Quelles sont les chances, à mon âge et en ce monde, pour un homme d'en connaître un autre dont il souhaite émuler les qualités? Minces, voilà ce qu'elles sont. Je suis si veinard que j'en sens bon.

17.10.02

Réjouissante nouvelle! Tardive et juste et excitante annonce! Claude m'apprend que Pierre Thibeault a enfin été nommé pour de bon à la rédaction en chef de l'hebdomadaire ICI. Ça a dû se faire sauvagement ce matin ou hier après-midi (ce journal a tout juste un lustre et deux semaines d'âge et son histoire est jalonnée de cadavres), car il n'en est fait aucune mention dans l'édition d'aujourd'hui. Quoi qu'il en soit, je viens d'appeler le promu pour le féliciter et lui recommander de surveiller ses arrières, où ne sauraient manquer de se tapir à l'affût deux ou trois louveteaux avec couteaux (affûtés) et fourchettes (pointues). Thibeault ne s'encombre pas d'idées reçues, sa curiosité n'est en rien inhibée par son érudition et l'esprit vigoureux qui gouverne sa plume peut redonner au journal un peu de rose (aux joues) et d'épine (dorsale).



D'autre part, Wajdi Mouawad publie le roman sur lequel il travaillait déjà de l'heureux temps où j'étais avec Gil-France et qu'il venait faire son tour à la maison. Ça me cause, encore là, une grande joie.



Ai dû me faire violence (en état de légitime défense) et solliciter l'autorisation de sortir auprès des services correctionnels. Suis aller chercher le chèque de la SODRAC. Il ressort que le plus gros des droits provient de l'usage de Soirs de scotch par le Ministère de l'éducation du Québec (ne me demandez pas ce qu'ils en font)!



Puis, j'ai fait des courses à la course afin d'être de retour pour seize heures. Ils viennent juste d'appeler. M'ont demandé ma date de naissance. Ne me laisseront pas l'oublier.

16.10.02

Les premiers résultats du référendum irakien sur sa reconduction septennale donnaient Saddam Hussein, dit l'hidrosadénite, gagnant avec 100% des voix. Un recomptage minutieux révèle qu'il s'agit plutôt de 103%. Doublevé, dit le saprophyte, est s(c)eptique.
Ne sais vraiment pas trop quoi dire, et encore moins comment l'écrire, sinon que la vie en demande beaucoup à mon ami ces temps-ci, et que cette nuit la vie avait mes traits, la truie, la gueuse, l'impénitente émanation d'un dieu caduc et barbaresque, et qu'on me pende si ce diable de rouquin surnaturel n'a pas tout encaissé costaud avec le flegme d'un prytane et l'élégance d'un grand seigneur. Sourire en coin, presque, mais je n'en pourrais jurer. Tout juste comme s'il m'en préparait une bonne.



Plus tard, j'ai reçu par messager six feuillets recto-verso couverts de questions, de colles, de clés: c'était signé Circius, Emmanuel, et ça sentait sa conspiration criminelle à dix pas.



D'abord, Manu ne m'écrit rien à la machine.



Ensuite, plusieurs des points soulevés s'écartaient de ce qu'il sait, voire même de ce qu'il peut! Ce drôle, ce cynique, ce revenu-de-tout n'aurait pas pu pondre ces pages aujourd'hui. Il ne les a plus en lui. Je le connais. Je le sais.



Or, cet interrogatoire trahit une telle candeur-du-début-de-la-vie, d'idéal éclatant qu'aucun temps n'a terni, de prétention franche et d'appétits-Iscariotes en malstroms, un tel esprit étanche à l'attrait des litotes et aux dangers du rhum, que je me résous à croire que Kevin et EC s'étaient entendus pour que le premier agisse et que le second signe.



Ainsi soit-il. J'y répondrai, puisque mon livre en sortira meilleur. N'empêche que ces deux conjurés du dimanche m'ont rappelé qu'on ne peut m'aimer sans détours, ni faire mon bonheur autrement que par la force et le recours au secret. Ne savent-ils pas que je m'en serais passé?

15.10.02

Oui, bien sûr, il y a le diabète, et l'obésité, mais manger sucré facilite sacrément le lavage de vaisselle: toute la merde se dissout au contact de l'eau chaude.



K me noue le torchon autour du cou et me présente le miroir: écharpe artiste et crasseuse, jaune passé, Saigneur j'ai commencé plongeur et plongeur je finirai!



Confirmation SODRAC de sous qui rentrent. J'appelle Steve.
Ce soir, il semble qu'on mange de la morue. «Encore?! rugis-je. Et comment tu la prépares, cette fois-ci?»



«Eh bien, de répondre K, voilà où j'en suis: je la dessale, je la dépiaute, je la découpe, je fais cuire des patates et puis ensuite j'appelle ma mère...»
Une fois rendu à l'université, ce vieux K l'a trouvée désertée. Pas un chat. Il avait oublié la semaine de relâche (à cause de sa propre semaine, sa semaine dernière, de relâche). «Là, je me suis trouvé tata en tabarouette! Enfin, pas tellement tata, mais juste assez pour y voir un signe du destin...», me confie-t-il à son retour, un tiers penaud, un autre sur la défensive, un dernier moqueur. Auparavant, il m'avait adressé un courriel intitulé Fatum buissonnier: Le contre-courant, le vrai rebours, l'ultime manière de se ménager une existence en marge, c'est de boire sans répit quand les classes ont lieu, de se rendre aux cours, comme aujourd'hui, lorsque débute la semaine de lecture, les vacances... Jarnidieu!



Jarnidieu, indeed.



Quand au message, l'alerte s'est révélée fausse, mais je reste aux aguets.





Y a un message sur le répondeur et Kevin est parti et j'ai oublié le code pour le prendre et merde si c'était le contrôleur comment ai-je pu ne pas entendre ce putain de téléphone! Ma liberté ne tient qu'à ce fil torsadé...

14.10.02

À la Poly, ils ont manqué de peinture pour finir tous les murs et K est revenu tôt. Très content, de l'argent dans ses poches. Il n'avait pas décapsulé sa première bière quand le téléphone a sonné: un flic de la SQ du Cap-aux-Meules lui rappelait gentiment qu'à défaut d'acquitter l'amende pour consommation d'alcool à l'intérieur d'un véhicule (contractée à l'âge de dix-sept ans), on se chargerait de ramener son postérieur madelinot derrière les barreaux locaux.



Son pécule fondu comme mousse de pilsener, K s'en est allé au marché avec le reste afin de renouveler nos provisions. On va manger de la morue salée et séchée (sur des engins qu'aux Îles on appelle des vigneaux), puis je ferai cuire un gâteau du diable.
Claude André, mon vieux frère, mon paquet de troubles, publie sur le net un commencement de roman: J'me barre à l'aube. Claude dont tout le malheur sera d'avoir été trop beau. Me touche toujours, m'a toujours touché. J'avais vu le début de ce livre, mais j'ignorais qu'il eût déjà tant travaillé. Les premières pages, un peu brouillonnes, témoignent de cette lucidité acide qui vient brusquement un beau jour aux brillants ivrognes de haute volée. Trouvera-t-il en lui-même la fortitude de mener cet ouvrage à son terme? Ses femmes lui en laisseront-elles la force, ou se laissera-t-il sucer toute la gomme?
Notre Action de Grâces, fête des moissons, précède le Thanksgiving états-unien de plusieurs semaines (quatrième jeudi de novembre) parce qu'on se gèle déjà les couilles dans ce pays à cette époque-ci. La même logique est derrière le Noël des campeurs.



Encore un mois et je rentre au Bunker.

13.10.02

Assis dehors dans le répit d'octobre avec un gros Ludlum, à portée d'ouïe du téléphone, prêtant l'oreille aux piaillements des oiseaux et des enfants sri-lankais, respirant à fond. Ressentant les premières atteintes du syndrome de Stockholm, désirant stupidement que ce téléphone sonne et qu'on s'assure que j'y suis.
À la rubrique espale, le Larousse du XXe siècle en six volumes (1933, reliure pleine peau, négocié pour cinquante dollars par Kevin dans un bazar) donne: «Plate-forme des galères comprise, de chaque bord, entre le dernier rang des rameurs et la poupe.» Ces compagnies de tabac ont un sacré sens de l'humour.



Pas de nouvelles de Vanasse au sujet de Fange et Furie, ni à quelque autre sujet. Impression qu'il prépare sa retraite, ou qu'il se lasse de l'édition, ou de moi, qui ne suis plus un écrivain de la toute première fraîcheur.



Mes chaussettes bâillent aux orteils.

12.10.02

Cousin Jean-François, coeur d'or vingt-quatre carats, est venu me porter deux paquets de clopes et une bouteille de ketchup, plus tout ce qu'il faut pour faire un pâté chinois. Le temps d'en griller une, il m'a aussi montré comment amplifier mes fichiers audio. Cette journée s'améliore de minute en minute.
Tranquillement, tranche par tranche, un couteau à la main, je fais un sort à la poire d'une livre, je mâche longuement et je suis dans la lune... D'accord, j'ai pas le droit de boire, mais fumer? Sauf qu'il reste plus une miette de tabac, et pas question de traverser la rue pour aller en acheter, des fois que Big Brother rappliquerait (l'a pas appelé depuis deux jours, doit préparer un coup de cochon).



Je m'ennuie presque de L'Espale, le tabac des indigents qu'on distribuait parcimonieusement en prison. Ça goûtait la patience et le cri dans la nuit.



Hier, avec K (son maillot Save water, drink beer sur le dos), on a eu un flash pour stimuler mon travail sur Origines: il va ravaler son motton, faire abstraction de l'épidermique inimitié qu'il éprouve pour l'homme et se rendre voir Circius au Delta, durant l'escale-éclair que celui-ci fera lundi, entre sa conférence ici et celle de Lowell. Il le convaincra de faire comme s'il ne connaissait pas déjà les réponses, et de m'adresser par écrit une série de questions littéraires absorbantes sur lesquelles je me pencherai, m'étendrai, me laisserai aller. Montrez-moi juste un raccourci et me voilà ragaillardi!

11.10.02

Exit Mario. La joie qu'il soit venu me voir, ce vieux renard, si peu expansif d'ordinaire, et qui m'a serré dans ses bras avant de partir, mon courrier à poster dans sa poche.



Il s'apprête à se délester d'une grosse crotte qui lui ronge le coeur depuis quinze, vingt ans: une histoire authentique de la ville de Sorel, verrues et tout.



Appuie mon refus de sortir d'ici, même trois heures par semaine pour faire les courses, s'il me faut pour cela quémander la permission.



Par ailleurs, Justine m'informe que mes fichiers son sont à peine audibles. Besoin de consulter d'autres sources, d'autres machines.



Dernière heure: KV arrive, croise Mario sans le voir, harassé; prend son courrier, trouve une enveloppe de Justine pleine de goodies. Justine rouge, Mère Noël...
Ajouté un petit fichier vocal, un fichu, traitant de mon père, de marteaux, de plumes et de rasage (de maisons).
Il y a quelques années, j'ai cédé une partie de mon catalogue de chansons pour acheter des bonbons. L'acquéreur, un éditeur ravi de l'aubaine, s'assurait ainsi de la moitié de mes droits à perpétuité contre une pitance. Plus tard, il a revendu cet actif avec profit et m'a avancé une certaine somme à rembourser sur la source, soit mes redevances trimestrielles. Or, je viens d'apprendre que le solde est acquitté et que la SODRAC va recommencer à me verser mes royautés sur chaque disque vendu. Pensée émue pour Luce, Dan et Isabelle.

10.10.02

Mario nous écrit qu'il vient à Montréal demain, et est-ce que K et moi aimerions de la visite? On croirait qu'il arrive de San Francisco plutôt que de Longueuil.



Tu parles, Charles, si j'aimerais de la visite! Quant à K, il s'en va peinturer une Polyvalente. «Tu pourras plus dire que je suis pas allé à l'école cette semaine!»



Ce soir, on a appris en zigonnant à créer nos propres fichiers vocaux. J'inaugure donc une nouvelle page, Vocalises, avec le texte de WTC, paru dans Le 11 septembre des poètes du Québec.



Travail dans la pénombre. Mes Madelinots m'ont tenu éveillé toute la nuit, à boire, écouter de la musique et se promettre vainement d'aller dormir après la prochaine bière, la prochaine toune, la prochaine guerre. L'un ronfle sur le plancher à cette heure; l'autre, mon favori, dans son lit de fer. Pas allé à ses cours. Va s'en vouloir (tant mieux). Va reboire pour effacer l'inconfort.



Toute la nuit j'ai maudit le jour où je me suis assis pour écrire Boîte à bijoux, chaque fois que Maxime la remettait sous prétexte qu'elle lui donne des frissons. Quand il a su que j'étais aussi l'auteur de Soirs de scotch, il ne se tenait plus, alternativement accusant Kevin de le mener en bateau et répétant pour lui-même: «Je peux pas croire que je suis assis à côté du gars qui a écrit ça et qu'il est couché juste derrière moi...»



Vers les sept heures, quand j'ai finalement pu fermer l'oeil, le téléphone a sonné: un nouvel agent de surveillance me présentait ses respects (et me demandait le prénom de ma mère) avec la voix de CGDR.

9.10.02

Montré à K comment utiliser une éponge sur ses dessins à l'encre: que le mouvement soit!



J'approche du trente-huitième an de mon âge. La poire mûrit.
Le livre comme agrégat géologique, sédimentaire et stratifié. Fascinant d'assister à sa formation définitive. Avec K, on a imprimé les 125 premières pages, y compris les exergues, la dédicace, le faux-titre et une couverture couleur. Me suis amusé comme un débutant.



Kevin m'a acheté une sorte de poire palermitaine d'une livre, en tous cas c'est piriforme: je vais passer la journée à patiemment la regarder mûrir sur le comptoir.

8.10.02

K arrive et me parle du Journal: je lui ai commandé une préface et sa cervelle carbure à gros bouillons. «Ça se tient! s'écrie-t-il. C'est un roman! C'est fascinant! Je comprends, maintenant. Tu lis les Annales romaines de 242 avant J.-C.: en elles-mêmes, elles ne révèlent pas grand-chose sur la logique historique (si tant est qu'il y en ait une). Mais compare-les aux Annales du siècle entier et un pattern se dessine. La récurrence du quotidien, les bases sur lesquelles il se tient amènent une existence vers quelque chose qui la dépasse! Les gens, me disais-je, vont se dire: "Qui c'est ce con qui étudie et qui peint des écoles pour boire?", sauf qu'à te lire, ma foi, on comprend, JE comprends: voilà le dessin d'un protagoniste consistant, cohérent, conséquent bordel!»
Jean-Paul Brodeur, professeur à l'Institut international de criminologie comparée de l'Université de Montréal, publie un texte dans Le Devoir intitulé la torture aseptisée. Il conclut à la vacuité de la notion de crime, "quand on la rapporte sans plus à des actes. Même les actes les plus barbares peuvent être tantôt dénoncés et tantôt légitimés, selon qu'ils sont perpétrés par un dément ou par l'État."

Last night, cocktail lytique de songes étranges...



Deux hommes dans un souterrain: un vieil écrivain, un jeune qui le devient. Ils s'imbibent soigneusement de whisky et de vodka jus d'orange. Songe étrange. Quelque part dans la nuit, le cadet bien beurré cuit de la bouffe pour dix, persuadé que plein de gens imaginaires errent dans l'appartement. Et de discourir, et d'engueuler cette légion d'échansons et d'anagnostes fictifs.



Au midi, le vieux tire le jeune du lit avec un café rince-cochon: ils sont contents, gueuledeboisés, libres. Le kid part pour l'école, flagada, flasque pleine dans sa poche de paletot, et l'ancêtre fait le ménage en songeant aux seins de Justine et à la croupe d'Annie et inversement (il a très faim).



Il vit dans un vacuum, superbe et panaché dans sa soupente prêtée, se prenant pour Mistral. Rien à déclarer? Si: je suis de très bonne humeur.

7.10.02

Kevin a dégotté une bouteille de whisky de contrebande chez un dépanneur des environs, de quoi remplir la flasque d'acier inoxydable que je lui ai offert la semaine dernière (pour les lendemains de veille à l'université).



Le plus dur, dans ma raspoutitsa, c'est d'être obligé de répondre au téléphone durant la sieste, au cas où il s'agirait d'un agent de surveillance.
K parti faire notre lessive, mon unique pantalon dans sa besace. Je tourne en rond de long en large aux quatre points cardinaux des Catacombes, un pour chaque point de suture qu'a requis mon voisin (Hans: «Y a des docteurs qui cousent serré!»)

6.10.02

Aujourd'hui, j'ai eu droit à une visite correctionnelle à domicile.



Calculé que je serais libre de sortir le 14 novembre, à temps pour le salon du livre.
Lecture de chevet (de toilette, en fait): Éloge de la fuite, du prof Henri Laborit. Tant qu'à vivre comme un rat, aussi bien comprendre comment fonctionne le laboratoire.

5.10.02

Téléchargé un reportage de Radio-Canada sur les peines à purger dans la communauté. Cette forme de sentence n'existe que depuis 1996; en 2000, une décision de la Cour Suprême en a renforcé l'aspect punitif et la surveillance. Un gars disait qu'à son avis, la grosse différence entre une assignation à résidence et la prison, c'est les barreaux. Pas d'accord. Pour moi, c'est le privilège d'être seul ou seulement avec des gens qu'on aime.
Kevin est parti prendre mon courrier et ma bouteille de ketchup au Bunker, de même qu'une provision de bouquins à la bibliothèque.



Hier, préparé mon pâté chinois pour les Madelinots. Succès fou. Maxime, inquiet que je ne me joigne pas à eux, à Kevin: «Est-ce que Christian mange toujours froid?»



Petit, Nick Landré accompagnait parfois son père Claude en tournée des cabarets. Après le show, en coulisses, on leur servait un repas passablement tiédi. Au gamin qui s'en plaignait, son père rétorquait: «Les chiens mangent froid». Dans une chanson écrite pour Nick et inspirée de cette anecdote, j'ai ajouté: «ce que les loups alourdis leur laissent...»

4.10.02

Woop-di-doo! 09:15 ce matin, première vérification téléphonique de mon sursis. Le type au bout du fil jovial comme si j'avais gagné à la loterie. Kevin, réveillé par la sonnerie, trouvait ça moins drôle.

3.10.02

Kevin et Mario discutent de l'internet. Mario recommande d'inscrire nos sites sur des moteurs européens et de penser globalement, tout en soulignant le risque de voir ainsi se dévaluer la propriété intellectuelle. Kevin rétorque qu'il s'agit là d'un nouvel humanisme. «Quand Christian a commencé à m'initier à l'internet, j'avais les mêmes inquiétudes, et puis je me suis rappelé la fois où, il y a cinq ou six ans, je m'étais retrouvé envahi par mes propres tableaux. Tu sais ce que j'ai fait? Je les ai alignés sur le trottoir devant chez moi, le jour des ordures. Sur l'heure du midi. Puis, je me suis installé sur le balcon avec une petite bière, et j'ai attendu. Les gens passaient, les regardaient, les emportaient. Quand le camion s'est pointé, il n'en restait plus un seul! L'internet, c'est pareil. Dieu seul sait (et le diable s'en doute) où le fruit de notre esprit circule, mais il circule!»
Visite de Mario, apportant un câble USB à Kevin pour sa nouvelle imprimante. Ai réparé ses archives blog. On évoque notre première rencontre, dans un café philosophique: quelques semaines plus tard, le croisant, je le replaçais difficilement et l'avais pris pour mon agent de probation.



Je lui explique que je suis sujet à des visites aléatoires du personnel correctionnel. «En cas d'urgence, fait-il, brosse-toi la langue!»