10.1.03

Sorti acheter des tubes à cigarettes. Un peu de tubes pour finir mon tabac, un peu de tabac pour finir mes tubes. Le jour où j'arrive égal, j'arrête de fumer.



Passé devant le prêteur sur gages où j'ai pawné mon platine de Soirs de scotch il y a trois ans. Fenêtres placardées, écriteau annonçant la fermeture. Adieu trophée. Quelqu'un, quelque part, l'aura acheté et accroché dans son sous-sol fini.
Point dans le dos. Mon corps est bien près d'en avoir ras le bock des abus.



Entendu bardasser dans le couloir une partie de la nuit. Glissements de meubles et froissements de carton. M'est avis que mon délicat voisin déménageait à la cloche de bois. Pourvu que le prochain ne soit pas un autre mélomane.

9.1.03

Éric devait passer le vingt-cinq décembre vers quinze heures, tout de suite après s'être séché les cheveux. Il vient d'appeler pour annoncer qu'il arrive. Vais lui recommander de se faire couper les tifs.
Suis allé porter Fange et Furie à BL chez Triptyque. N'a guère semblé surpris de ma visite. Lit le Journal. «Comme ça, il ne s'est pas passé grand-chose hier?»



Il faudrait vraiment pouvoir tout dire.
Justine a mis dimanche la dernière main à son manuscrit, dont la parution est prévue pour la Saint-Valentin. Pas étonnant qu'elle se soit faite si rare ces derniers temps. Elle était ligotée à son ordinateur. Guère excitant, comme position, contrairement à ce qu'on serait tenté d'imaginer.
Hans Blix, le chef des inspecteurs en désarmement de L'ONU, affirme qu'ils n'ont rien trouvé en Irak. On entend une mouche voler, ou serait-ce un bombardier furtif?
Je ne sais pas qui étaient ces gens qui remplissaient l'aréna hier pour le show des Stones à 350$ le billet. Aucun de mes amis, en tous cas. Excepté Sébastien Plante, le chanteur des Respectables, mais il était sur scène en ouverture et, je présume, payé pour le faire, même si je soupçonne qu'il a probablement plutôt promis un rein et la moitié de sa rate afin de décrocher cette chance. Ne m'assurait-il pas que le nom même du groupe vient de ce qu'on appelait ainsi les Courtisanes du XVIIIe?



K n'a rien bu hier, et je ne suis pas sûr que ça lui fasse. Quand on mange des fèves, on évite de dormir sous le même toit tant que nos tripes sont le théâtre de luttes intestines, aussi est-il rentré chez lui. Je lui avais mis des tomates et des poires dans un sac de plastique, or il est reparti avec mes ordures ménagères.



Nouvelles de Louis. Drôle d'horrible récit de la saisie de son char pour deux contredanses en souffrance, le soir de la Saint-Sylvestre, sur le bord d'une route à L'Annonciation. A fêté l'arrivée de l'an neuf dans un motel minable avec sa blonde et son neveu, à jouer au poker sur un tableau retourné posé entre les deux lits, croquant des Ruffles et dégustant du Porto.

8.1.03

Ciel ouaté de soyeux sfumatos roses. Humeur contemplative. Kevin parti photocopier Fange et Furie à la bibliothèque de l'université, avant de venir souper.
J'ai une molaire qui vaut tous les réveils. Me laisse dormir soixante minutes et zing! se met à élancer comme les enfers.



Petite neige. Riche odeur de fèves au lard. Bonne idée, ça: du sucré pour souper.
Il ne se passe mystérieusement, miséricordieusement rien. La vie en oublie de me donner des coups de pied dans les gonades. Doit être malade.

7.1.03

Un second clone serait né, issu d'une lesbienne des Pays-Bas. Et on pourrait attendre dix-huit ans pour obtenir confirmation de cette percée technologique. Ce qui permettra peut-être de résoudre la question de savoir si l'homosexualité est innée, non? Si la gamine est gouine, c'est peut-être, et si elle ne l'est pas, c'est non.

6.1.03

On vampirise la vie de ses amis pour l'écrire, ce bouquin. C'est ce qu'on fait. Et on veut ne rien devoir à personne. J'ai l'habitude. Ainsi que tu l'expliquais, cher vieux K, à Annie ce soir-là, ce soir où je te confiai la situation explosive avant de me réfugier dans la chambre: «Tout dépend de ce qu'on est prêt à prendre et prêt à accepter».



Pour ma part, je ne me censurerai pas davantage, et te cède volontiers ce loisir de ne plus rien me dire. Tu y gagneras une totale indépendance. Grand bien fasse à ton roman. N'est-on pas sur la terre, avant que d'aboutir six pieds dessous, pour écrire des livres?
Suis monté voir ce vieux K aux Catacombes. L'animal, young & carefree, affichait comme on dit une forme resplendissante. Mais c'est l'état de l'appartement, net, ordonné, confortable et fonctionnel, qui m'a rassuré sur son état à lui: j'avais devant moi un homme en grand train d'écrire. Pour cela, on veut du clair autour de soi, et puis on peut passer le plumeau sans même s'en rendre compte, perdu qu'on est dans notre livre.



De fait, il m'a permis un coup d'oeil sur les premières feuilles de son roman, qui démarre en fraîche et franche beauté. J'ai parcouru cet incipit avec une sorte de soulagement plein de soupirs, enchanté qu'il se lâche lousse et véridique; plus soucieux de dire que de souligner, confiant en sa syntaxe personnelle, il s'enligne pour mener cette barque au port, et si les écueils qui l'attendent m'inquiètent, je crois que la combinaison de son orgueil et de son talent pourront en triompher. Jusqu'à ce que l'orgueil et le talent ne deviennent des désavantages, ce ne sont pas des inconvénients.



Rentré à pied depuis Fabre. Une heure pile, en comptant le temps de brandir le poing deux ou trois fois vers les (et d'adresser des invectives aux) autobus qui me passaient sous la moustache.



Il y a des soirs comme ça où l'on est forcé de prendre une marche de santé.



Le temps des Fêtes est bien fini, woop-di-dou, retour à la vie normale, à l'angoisse du prochain livre et du prochain repas. K m'écrit qu'il a aidé un ami à dilapider son héritage, au péril de sa santé. Cinq cents dollars de cognac plus tard, il se repose.

4.1.03

Seulement lu trente-neuf livres l'an dernier, environ la moitié qu'à mon habitude, et encore, des merdes pour la plupart. Biographies serties en de mesquins commérages, romans d'aventure, traités et relectures. K se déclare stupéfait par mon programme bibliophilique, mais accepte l'argument selon lequel je veux préserver mon style de la contamination par de grands auteurs.

3.1.03

Mario m'a apporté du pétrole, belle âme. Je lui apprends que CIBL m'a offert de tenir l'antenne deux fois par semaine avec un billet d'humeur sur Montréal. Aucune rémunération prévue, mais c'est négociable. «Exige le double!» s'esclaffe-t-il.
Courriel de Mario:



Ce que tu peux avoir raison en ce qui concerne K. C'est ainsi que se reproduisent les classes sociales... Je serai à Montréal demain. Passerai te voir après la rencontre avec des Encyclopédistes, soit vers 20H30. M.
Kevin est distant comme l'hiver dernier. C'est du moins mon sentiment, mais peut-être est-ce moi qui ressens névrotiquement la saison, quoique j'en doute. L'an dernier, c'était Catherine qui le travaillait. Maintenant, c'est sa décision d'abandonner les études (façon polie de dire que ses études l'ont abandonné). Il passe donc ses journées à peinturer avec Eddy et ses soirées à boire ce qu'il vient de gagner, et ses nuits à jouer de la cuiller avec Eddy sur des chansons de George Langford. Le péquenot plein de culpabilité ressort en Kevin et remonte et pétille à la surface. Universitaire, moi? Le premier de ma famille? De quel droit? En quel honneur suis-je ici à Mourial à me pogner le petit juif au lieu de vider des poissons au côté de mon père?



Et ce KV de s'imaginer qu'il a tout le temps du monde devant lui, qu'il vivra deux ou trois vies de front, et voilà: qu'y puis-je? Rien pantoute.

2.1.03

Aujourd'hui, j'ai récrit ma page d'hier, et je suis monté voir CGDR (qui m'a infligé un peu plus de son roman en chantier, 13 overdrive: s'il pouvait seulement me laisser un peu le corriger, nos conflits amicaux seraient si aisément abrégés) et j'ai travaillé sur Origines, dont je dois venir à bout avant la fin des Fêtes, quand VLB réclamera le manuscrit que je lui dois.



Plus de vingt ans maintenant qu'on me traite d'hétérosexuel, juste parce que je préfère coucher avec des femmes.



1.1.03

Retour de chez Mario. Sa mère fait une puissante et sacrée tourtière.



Laissé Kevin au métro, ou on s'est séparés sur le quai comme dans un film de Lelouch.



La veille, chez William et Nathalie, j'avais connu mon baptême du cipâte, une merveille massive et fumante. On a chanté, dansé comme des perdus. Chantal, supposément retenue à Saint-Irénée, est arrivée pour surprendre Hans, aussi heureux et excité, soudain, que je l'aie jamais contemplé.



Fauve devient bon gré mal gré une éponyme jeune femme et a passé la soirée avec nous; l'an dernier, elle était restée avec les enfants. Portant un chandail rouge sang à l'effigie du Che, et un sac sur lequel était cousu Non à l'État policier, elle s'est illustrée comme la digne fille de son père. M'a demandé si je savais l'origine du sobriquet (D'Ernesto Guevara). Me l'a révélée. S'est enquis, assise à ma droite, du métier de Kevin, assis à ma gauche. «Est-ce que c'est un écrivain?»



«Demande-le lui», j'ai répondu en reculant ma chaise, et le KV plongé en pleine conversation avec William a senti la franche soupe, il s'est tourné bonhomme et vieux aux yeux de la petite, ses yeux de pécheur adoucis et un sourire bienvieillant fendant sa barbe rousse, et Fauve a répété: «Êtes-vous un écrivain?» et KV a hoché la tête. «Comme Christian?» insista Fauve, ses yeux ainsi que soucoupes de cuivre émaillées par un millier de laborieux Chinois, ce à quoi Kevin, après un soupir sonore et un instant de réflexion concurrents, rétorqua: «À cela, Fauve, je suis obligé de répondre par la négative.»



Quant à Félix, le frère cadet, ce tendre petit homme on his way to colossus status, il arborait aussi sur son linge quantité de messages dont la tribu n'avait pas à rougir. Hans a appelé Marlène en Floride et m'a refilé le cellulaire, puis il a composé le numéro de sa mère sur le sans-fil: très vite, on a rondement eu l'air d'un joyeux vieux cartoon de Warner Brothers, jonglant avec les téléphones.



Tous ces gens forment une invraisemblable famille étendue, fonctionnelle et aimante, atypique au possible et dont le secret m'échappe. Sans doute est-il pourtant juste là, sous mon nez.



Pendant ce temps, Aphane dit des Avés pour moi, son dizainier de bois au bout des doigts. On n'est jamais trop prudent.