31.5.03

C'est toujours le dernier arrivé qui paie pour les autres. C'est injuste. C'est humain. C'est peut-être la même chose.
À part ça, ma foi, il y a Réal, mon Réal, Yté, l'Amèriq indigné comme un seul homme, seul, qui s'est porté à ma défense aujourd'hui, probablement pendant la sieste des enfants. Je ne suis pas gourmand. Tant qu'il subsiste un honnête homme, égaré dans les allées de ce cyclopéen Wal-Mart que nous appelons une civilisation, je continue à me creuser, j'écris le maigre et puis le gras et puis le gris je le colore; un honnête homme, ça paraît peu, sauf si l'on songe que Diogène n'en dénicha jamais autant.



Ce qui me scie à l'os, tout bien pesé, c'est que je ne peux plus décemment interrompre le Journal maintenant, pas aujourd'hui, pas après ça. On jaserait. Faut que je rame encore un bout. Ah, l'ordure! Ah, le bélître! Ah, le touriste!
J'avais jasé avec lui jusqu'à tard dans la nuit, aussi quand peu avant une heure et demie je suis monté chez Steve, l'ai sorti de la douche et lui ai demandé de syntoniser CIBL, il ne m'a pas reçu avec des débordements d'aménité.



J'avais encore le souffle court, irrégulier, comme si j'avais reçu un grand coup de botte vicieux au creux de l'estomac, ce qui était un peu le cas. Puis je me suis rappelé que CIBL devait parler du livre en début d'après-midi, et entre me claquemurer dans le Bunker où il n'y a miséricordieusement pas de radio et courir encore ma chance comme un gambler pathologique, j'ai décidé de relancer les dés.



Le coucou de Stevie a sonné la demie tout comme il stationnait l'aiguille sur 101,5 FM, l'émission était à moitié consommée, pourtant c'est à cet instant précis qu'elle s'est mise à parler, comme si elle m'attendait pour commencer. C'était Johanne Viel. Tout ce que je savais, c'est que sa pénétrante intelligence fonctionne d'une façon qui ne m'est pas étrangère, et qu'elle avait préparé le premier pâté chinois de sa vie la semaine dernière après avoir fini de me lire, mais je n'étais pas certain de ce qu'il fallait en déduire, même si son chum s'en était montré enchanté. J'étais si fébrile que j'arpentais l'appartement de long en large en sautillant, sous le regard de Steve qui hésitait sur l'attitude à adopter, et je gesticulais pour lui faire comprendre que je lui expliquerais tout après, et j'écoutais, écoutais, pendu à sa voix comme si ma vie en dépendait, et je priais presque, j'en oubliais que je suis un païen, je priais et mendiais quelques paroles honnêtes pour mon livre, et pourquoi pas tant qu'à y être un mot gentil, en tout cas pas trop dur.



Or, phrase après phrase sans ralentir, non seulement elle lui rendait ample justice mais elle touchait toutes les bases sans en oublier une seule et elle expliquait ce que c'est en termes plus cristallins, plus concis, plus nets que je n'y suis moi-même arrivé, et elle riait en citant des passages, et c'était soudain comme si on m'appliquait une compresse d'eau fraîche sur le visage, me donnait le temps de reprendre mon souffle et mon courage. C'est seulement là que j'ai réalisé toute l'ampleur de ma solitude et de mon désarroi depuis le matin: quand j'en ai été soulagé.



N'empêche, je ne sais toujours pas si l'assaut fut plus brutal ou si les fortifications pourrissent. Quelque chose de fiable jusque là s'est fêlé comme en un soupir polaire, et j'ai affaire à découvrir ce que cette chose est, à quoi elle sert et si elle m'est indispensable.



Naviguant mécaniquement, sans aller nulle part en particulier, je me suis retrouvé sur le site d'Annie, et j'ai relu toutes les pages ayant trait à Épiphanie. Dans les films, après avoir subi des violences, les femmes se plongent toujours sous une douche bouillante. Je n'ai pas été suffisamment traumatisé pour me laver un samedi après-midi, mais quand même, j'éprouvais le besoin (je l'ai compris après) de lire du net, du propre, de l'authentique. Le résultat d'un travail franc et acharné, des mots choisis selon un principe, un point de vue, une conception de l'écriture assumée en toutes circonstances et sans égard au prix. Cela, je peux toujours le retrouver chez elle, comme au premier soir où je l'ai lue et suis tombé amoureux de sa prose, bien avant de m'éprendre aussi d'elle.



L'ironie cruelle, une autre, c'est que son putain de manuscrit circule en ville, que j'en entends dire un bien fou et que je n'en ai jamais vu une seule page, une seule ligne, un seul mot passé le titre.
Tôt ce matin, tôt bien assez pour savourer ma solitude, je me délectais du dernier article de Christopher Hitchens (son style, sa mesure, son intelligence, son bagage, sa droiture, son travail de réflexion intransigeant), et je venais de décider de mettre un point final à ce Journal. Aujourd'hui, fin du mois, chiffre rond. Je sens que je ne me renouvelle pas et que je dépends un peu trop de ce rituel et qu'il cautionne mon inaction ailleurs et que j'ai accompli mon objectif et qu'il faut que je m'oblige à défricher du neuf. Ce que j'envisageais de faire, c'était de perpétuer l'accès aux archives à partir de cette page, tout en proposant un lien vers une nouvelle, que j'intitulerais Éditorial et dans laquelle je proposerais un texte d'opinion hebdomadaire plus substantiel et plus fouillé, quelque chose comme mille mots, je sais pas trop, enfin quelque chose de nouveau et de stimulant et d'exigeant.



J'étais à réfléchir au moyen de patenter ça sans bouleverser tous mes codes quand la clochette a tinté, annonçant un courriel. Dominique m'envoyait un article paru dans Le Devoir de ce matin, accompagné d'un commentaire laconique et d'un baiser qui sentait la pitié, laissant présager le pire.



Ce qui suit est la transcription intégrale de cette recension, intitulée Roman québécois - Les passages à vide de Mistral et signée Christian Desmeules.



Entre deux chansons, un essai sur son oeuvre et un projet de roman,

Christian Mistral nous imprime son journal de l'année 2002. Un Journal qui, entre sa publication quotidienne l'an dernier sur Internet et sa mouture de papier, se transforme en «roman» par un petit tour de passe-passe dont lui seul connaît les ficelles, sans que l'on sache trop bien ce qui justifie cette fantaisie sémantique. Vacuum se présente donc après coup, dans sa version livre, comme le quatrième volet du cycle Vortex Violet (dans le sillage de Vamp, Vautour et Valium). Pour l'occasion, le «mauvais garçon» de notre littérature s'offre un nouvel éditeur (Trait d'union) et la direction d'une collection («Graal») qu'inaugure son nouveau livre.



Au menu, on trouve un peu de tout : commentaires de l'actualité internationale, mots rares, chronique voilée de ses amours chaotiques et de ses amitiés viriles, extraits de courriels qui lui sont adressés, citations de poèmes, de chansons. Tout cela écrit et publié sur Internet au jour le jour, pratiquement d'heure en heure, flirtant sans remords avec le degré zéro de l'écriture. Ainsi, en date du 16 avril 2002 à 9h11 du matin, on peut apprendre que Mistral vient d'ajouter une page à Origines, l'essai que lui a commandé Victor-Lévy Beaulieu. Le 25 avril, la petite madame gentille qui habite en dessous lui offre une paire de pantoufles en «Phentex». Le 15 juin, on sourirait si on pouvait croire qu'il se parodie lui-même : «Avec Kevin, on s'est descendu une bouteille de Havana Club en visionnant Les

Raisins de la colère, puis on a commencé à se taper dans la gueule.» Le 9 juillet, il dégivre son congélateur.



Comment se limiter au réel le plus plat, semble s'être donné pour horizon

l'écrivain Mistral. Comment ennuyer ? Dans un souci de faire adhérer étroitement sa propre vie et l'écriture, il nous donne à lire le désoeuvrement dans ce qu'il a de plus sordide. Épris depuis toujours de liberté, infatigable assoiffé de la vie qui grouille, qui rampe ou qui se décompose, mais bien loin des figures tutélaires de Henry Miller ou d'Hemingway, Mistral traîne sa liberté comme un embarrassant fardeau. Ou comme un vide à remplir. Dans l'un des rares passages de Vaccum où la lucidité semble l'emporter sur la complaisance, il nous livre un état des lieux : «Trente-sept ans. Gros. Cancéreux que ça ne m'étonnerait pas. Le miroir me renvoie une rotondité, une épaisseur bourrelée au-dessus du coude gauche. Et j'expectore avec de plus en plus d'inconfort [...], mais je crains tant que toute ma force ne fonde au contact de l'inquiétude, comme ma beauté s'estompe dans les résidus de tabac fumé et de bière bue.»



La pratique diariste est exigeante, souvent sans pitié pour l'entourage et

pour soi (Jean-Pierre Guay, Gombrowicz ou Charles Juliet en savent quelque chose). Elle relève davantage du véritable travail sur soi et sur l'oeuvre en cours que de l'autocongratulation. À cet exercice du journal, Mistral échoue. Car ce qui aurait pu être une oeuvre littéraire n'est que la chronique quotidienne d'un personnage nommé Mistral, compulsif dactylographe qui découvre la technologie et s'excite de pouvoir s'adresser au plus grand nombre, à travers le grand vide de l'ennui.



À quelques reprises, le Journal nous est présenté comme une sorte

d'excroissance amputée d'Origines, un court essai sur son oeuvre et sa venue à l'écriture qui s'insère dans la collection «Écrire» des Éditions Trois-Pistoles, dans lequel Mistral consent à nous livrer quelques-uns de ses secrets de cuisine. Un livre polymorphe et bigarré constitué d'un entretien, de notes, d'extraits du Journal, de souvenirs d'enfance. Un petit livre éclairant, mais qui n'arrive pas à se suffire à lui-même.



Certains passages de Vacuum s'y retrouvent d'ailleurs tels quels, sans retouches grâce à la magie du «copier-coller» qui permet à l'écrivain d'être partout à la fois. Paresseux, le Mistral ? C'est lui-même qui l'avoue : «Le champion toutes catégories des démons dégueulasses auxquels j'aie à faire face, c'est la paresse.» Et d'ajouter que le coeur n'y est pas, qu'il n'y est plus depuis déjà longtemps : «Personne ne me croit quand j'affirme préférer laver la vaisselle à écrire.» La paresse ne fait pas qu'empêcher d'écrire, elle fait aussi prendre des raccourcis : «La seule perspective d'être lu et d'en jeter plein la vue me donne l'impulsion nécessaire à l'ouvrage quotidien. C'est comme ça. Il est de pires raisons d'écrire.» Vraiment ?



Par endroits, c'est presque fûté, cette tentative d'assassinat. On ne reconnaît pas le dilettante derrière absolument toutes les phrases. Quelques-unes sont même affaire d'opinion et je ne trouve rien à y redire. Pourtant, j'ai beau me fouiller, interroger ma mémoire que l'on s'entend généralement pour qualifier de stupéfiante, je n'arrive pas à me rappeler que nous ayons élevé les cochons ensemble, d'où ma surprise devant ce luxueux étalage d'affirmations péremptoires sur qui je suis, de celles qui supposent une connaissance intime totalement hors de sa portée. Si je suis «assoiffé de la vie qui grouille, qui rampe ou qui se décompose», et je ne nie ni ne confirme, alors ce type sait bien des choses, et des croquantes. Toutefois, si on veut mon avis, je suis plutôt porté à croire que cet olibrius, ce pétrisseur de métaphores, s'essaie à faire du style sans souci de ce qu'il exprime, tel un pétomane faisant ses gammes et que l'odeur laisse insensible. Faire du style dans un brulôt qui me vise, ça revient à jouer du gazoo dans un concert de Claude Lamothe. Il n'y a guère de passage qui rachète l'autre, mais le plus dégoûtant est sûrement celui qui me voit «traîner ma liberté comme un encombrant fardeau». Voilà un citoyen qui n'a jamais reçu ne serait-ce qu'une contredanse. Pour considérer la liberté comme une quantité si légère, si plume et fumée qu'on la sent à peine, il faut n'en avoir jamais été privé. Connard.



Dans l'ensemble, pour abréger, et somme toute, ce type, c'est quand même un sale petit pédé, non? Foutu branleur de merde. 22, 23 ans je parie. Ou 46, allez savoir. Un nom à se faire, en tout cas. Putain de goule de fils de pute. Enfant de pétasse syphilitique et de mangeux de marde, enculé de fond de gogues, sac à flu, pissou, bureaucrate passe-partout, cauteleux mercenaire, tâcheron sans passion, scribe à gages, courtisan de cocktails, flatteur de Péan et botcheur de job par-dessus le marché. Que se passe-t-il au Devoir pour qu'on envoie cet avorton faire une job de bras sur moi? C'est peut-être une initiation, ou alors ils veulent l'inciter à démissionner. De mon temps, du temps de Lise Bissonnette ou de Paul-André Comeau, quand on voulait la peau de quelqu'un dont on pouvait supposer qu'il la vendrait chèrement, on n'envoyait pas un enfant. On envoyait un homme ou Nathalie Petrowski.



J'ai donc lu ce texte, incrédule (je ne suis plus familier du Devoir, j'ignorais l'ampleur des changements, du progrès réalisé): le ti-coune s'y fait beaucoup les dents sur mes deux livres et tant soit peu sur ma personne. En louveteau normalement constitué, en prétendant adéquat, il prend soin de se tenir à distance prudente du mâle alpha, et la longue odoriférante chiasse de mots dont il s’efforce de marquer un territoire fraîchement taillé ne va jamais jusqu’à éclabousser franchement mon talent. Seulement mes motifs, mon coeur à l’ouvrage, mon honnêteté artistique, mes prérogatives d’auteur et la nature intrinsèque, avérée, indiscutable de mon oeuvre: celle-ci est certes bien des choses, mais une entreprise d’autocongratulation elle n’est pas.



Puis, j’ai voulu savoir qui c’est au juste, cet homuncule dégénéré qui traite ainsi deux ans d’ouvrage. Avec malveillance, désinvolture et légèreté, comme si je n’avais pas mérité qu’on se penche sérieusement sur mes propositions. Qui refuse même à mes livres la dignité d’être filetés au scalpel, plutôt qu’assaillis sans finesse avec une hache émoussée. Je n’ai trouvé à son propos que peu de choses: il est libraire chez Pantoute, il a collaboré à une sorte de magazine de jardins et il a interviewé maman Dion. Depuis peu, il sévit dans la grande ville. Dans ce vieux Devoir où j’ai chroniqué quatre ans à la moitié du cachet que La Presse m’offrait, parce que j’y croyais, que ça signifiait autre chose qu'un tremplin de carrière, que c'était un devoir, depuis des générations. Ce journal-là, fais ce que dois, qui aujourd’hui confie la recension de mon travail à un méchant abruti ambitieux. Je le digère difficilement. J’ai pris tout ce qu’on m’a lancé, aussi bien les eaux usées que les louanges, et je n’ai jamais songé à répondre à une mauvaise critique, pas plus qu’à une bonne. Mais on n’a jamais osé s’en prendre à l’intégrité même de ma carrière, à la pertinence des quinze années passées à écrire et publier depuis Vamp, et jamais un foutu bouseux à tête plate, sans visage et sans réalisations, ne s’était avisé un beau samedi de mordiller de la cheville de Mistral. Ce monde n'est pas une émission de Lise Payette, peuplée de protagonistes en caoutchouc, et la littérature n'est pas un jeu de rôles entre gosses de riches civilisés. Ça joue dur, ça échange, ça débat. Faire l'économie de la politesse, soit, mais alors il ne faudrait pas s'étonner que quelqu'un vienne à s'en formaliser.



Qu’on se le dise: de mon vivant et de ma santé, je ne permettrai pas que n’importe quel rongeur puant s’attaque en traître à mes livres quand ça lui chante, pas plus qu’à mon enfant, pas plus qu’à rien ni personne que j’aime et qui souffrirait injustement à cause de moi. Car c’est bien de cela qu’il s’agit: mes livres aujourd’hui n’ont pas reçu l’honnête attention qu’ils méritaient pour eux-mêmes, indépendamment des sentiments qu’on peut nourrir envers l’auteur.



Ce misérable résidu d’atelier d’écriture de cégep, ce galopin, ce téméraire petit cul, n’a-t-il jamais appris dans le trou dont il est issu que le jour où on s’attaque au gros gibier, mieux vaut l’abattre du premier coup?

30.5.03

Bannière


Fisto mio a fait du bon boulot. Comme je l'ai dit au lancement, chacun en ce bas monde a sa croix à porter: la sienne, c'est de travailler avec moi.
Une lectrice avec qui j'ai «déjà-causé-au-Boudoir-un soir-de-déprime» (pour elle? Pour moi? Mes souvenirs du Boudoir sont tous déprimants) et qui signe grandogresse me suggère, sur le Forum, deux titres pour la suite de Vortex Violet: Vidure (n.f. Ce qu'on ôte en vidant un animal) et Vidicon (n.m. Tube analyseur d'images de télévison). À me faire regretter d'avoir clos le cycle et m'être tourné vers la lettre G. Vidure, surtout, est fascinant; l'autre porte à confusion. Mais je n'aurais pu le retenir de toute façon, car j'ai toujours choisi des titres n'ayant pas besoin de traduction, afin de préserver l'intégrité de l'ensemble (le premier est tiré de l'anglo-américain, le second est un nom de famille, le troisième une marque de commerce, le dernier un mot latin). Dommage.

Entrevue téléphonique avec Micheline Lachance, de L'Actualité. Vif et bon souvenir d'avoir fait ça déjà, il y a pourtant longtemps. Suis curieux de voir comment elle va réussir à comprimer tout ce que je lui ai donné dans les dix lignes qu'on lui alloue. C'est pratiquement un exercice de style. Si on la paie au mot, c'est bien injuste.



«Ressentez-vous de la rancune à l'endroit de Dan Bigras?» Grands dieux non! Un infime soupçon d'amertume, à la rigueur. Une gouttelette de bile sur le coeur. Mais il n'a pas agi autrement que la plupart, et je préfère me rappeler l'homme que j'ai connu d'abord. D'ailleurs, celui-là serait mort depuis longtemps s'il n'avait pas changé radicalement.



Je guide mon fils, aussi par téléphone, dans la réalisation d'une bannière publicitaire pour mon livre sur le site de Trait d'Union. La ligne doit être mauvaise: on a beaucoup de mal à s'entendre.

29.5.03

Descendu avec CGDR au lancement de Lili. Elle a chanté des extraits de sa comédie musicale avec ses trois complices estivales. Je ne lui supposais pas une voix si ferme et mélodieuse, et le crépitement dans ses yeux! Ça devrait marcher très fort.



François Turgeon va tenter de convaincre sa soeur de me montrer son manuscrit. Ça fait longtemps que je mijote ça. Un roman d'Emmanuelle ferait merveille pour la suite de Graal.



28.5.03

Dominique passée partager sa joie et sa fierté. Le livre de Lili, fraîchement sorti des presses, c'est aussi un peu le sien, qui dirige la collection Sex-Libris. Et elle a trouvé une amie en prime. Moi qui les ai présentées, je ne suis pas mécontent non plus...
Je reprends vie d'heure en heure. Bientôt, j'affronterai la nécessité d'entamer un nouvel ouvrage pour me pardonner le dernier. Ainsi va la vie que j'ai choisie.
Massif sommeil réparateur. J'essaie de me remettre en forme pour le lancement de Lili demain soir. Faut aussi que je fasse ravauder mes culottes. Lundi, en montant dans l'Oldsmobile de CGDR, le fond s'est fendu tout du long.

27.5.03

Extinction de voix...



Lancement monstre. Ni trop de monde, ni trop peu. Certaines invitations ne se sont jamais rendues, ou arriveront la semaine prochaine. Les bureaux de Trait d'union au square Saint-Louis, sous une pluie battante nelliganienne, formaient un cadre délicieux. Tous les employés se sont démenés pour faire de l'événement un sujet de conversation dans les chaumières et les lofts.



Mes invités, variés, se sont détendus après quelques bières, au son d'une musique de jazz diffusée par l'ordinateur de Sophie. Des couples se sont même brièvement formés. Une quinzaine de personnes se sont étonnées de l'absence de Kevin. J'ai dû leur rappeler que c'est un personnage de roman.



Le cinq à sept s'est terminé vers dix heures, quand j'ai mis les traînards dehors (y compris moi-même), au vif soulagement des gens de la maison qui devaient tout remettre en place.



Après quelques pichets à la brasserie Cherrier avec sept ou huit fidèles, je suis rentré vers minuit (Cendrillon ravie mais crevée de fatigue) avec Fred et CGDR.

26.5.03

Hans a embrayé en marche arrière, écrasé le champignon: la bagnole s'est dégagée en grinçant de la camionnette qui venait de nous coincer de biais au feu rouge, puis a décrit une longue élégante arabesque, traversant deux voies et un terre-plein. L'un des six sauvages était à terre, se tenant le genou, les autres se précipitaient vers nous, battes au poing. J'ai gueulé: «Pousse!» Hans a demandé: «Pousse quoi?» J'ai corrigé: «Fonce, pas pousse. Fonce!» Il a rembrayé en première, il a foncé: j'ai vu l'un des gars se mettre en position comme si on était une balle arrivant du monticule, et au passage il a fait voler le pare-brise en éclats, juste devant moi.



Maintenant, je récolte les particules de plexiglas au creux des plis de mon pantalon, bien content qu'on ne soit ni à la morgue, ni à l'hosto. Ils nous ont pris pour d'autres, mais qui?



Soirée avec Chantal encore plus chouette que désiré: elle, Hans et moi jasant au Bunker autour d'une pizza kurde jusqu'à minuit.



Lancement cet après-midi.



25.5.03

Entrevue à seize heures avec Chantal Guy de La Presse. Conservé un sweet souvenir de notre première, il y a trois ans.



Puis je verrai Hans, qui a grand besoin qu'on lui change les idées. Moi aussi, d'ailleurs, à bien y penser.

24.5.03

On m'offre un caniche pompon de la Barbade. Une espèce de rat frisé qui encule des fouines et s'étourdit d'aboiements ridicules tout au long de sa vie de chien sans jamais soupçonner sa réelle, dérisoire nature de caniche pompon de la Barbade (Il s'imagine en Labrador). Intéressant. Même qu'il chie partout et constamment à juteux petits coups désopilants. Tout cela serait une telle, une si nette amélioration sur le comportement de mon défunt chien-saucisse, un tel progrès, enfin, que j'hésite à refuser...



Cette race-là, cependant, est affligée de quelques tares héréditaires rédhibitoires, dont les chiffres sur l'incidence du cocufiage canin au Canada témoignent avec une incontestable autorité: 23% des caniches pompons de la Barbade sont pédés sans le savoir et 97% sont cocufiés dans les six heures suivant l'accouplement. Là encore, le chien-saucisse était bien pire (ses statistiques pâtissaient de sa fâcheuse tendance à s'éprendre de levrettes toujours disposées à sucer six éboueurs dans la benne en échange d'une escalope avariée).



M'encombrer d'une autre de ces créatures artificielles qui me mordra la main demain? C'est un pensez-y-bien.
Mon chien-saucisse était si doux, si fidèle, un modèle de zèle et de modération, intelligent, retenant tout et si affectueux qu'on aurait cru qu'une âme éclairait ça de l'intérieur. Puis il est allé se rouler dans quelque ruelle avec la première bâtarde infectieuse qui lui a fait des chaleurs et il m'est revenu enragé. Cette nuit, j'ai mis dix heures à en venir à bout, de ce damné petit roquet qui m'aboyait aux chevilles en faisant mine de vouloir mordre, cependant que sa chienne prenait de grands airs en décrivant de prudents cercles autour de nous tout en me pissant sur les godasses. Il n'y avait plus ni amour ni haine dans les grands yeux bruns de mon vieux clébard, qu'une sorte de vilaine fièvre rabique, aveugle et stupide et sourde. Dix heures pour l'épuiser, puis je l'ai laissé dans sa niche avec l'autre vérolée, à ronger des os de mouton volés dans le voisinage. Je ne veux pas le voir crever. Je préfère le tenir pour mort déjà. S'il y a un paradis des chiens-saucisses, sûrement on lui fera de la place, ne serait-ce qu'en souvenir du temps où il imitait si bien les grands dogues de race.



Mon chien est mort. Il n'a jamais valu grand-chose, évidemment, mais il n'empêche que je m'y étais attaché. Petit pincement au coeur, comme chaque fois qu'un de mes chiens vire fou et qu'il finit dans un sac à vidanges ou une forêt d'automne, ses tourments abrégés par une balle de .22. Mais bon, ça ne m'a jamais empêché de dormir, sauf le premier peut-être, il y a trente ans. Quand ils arrivent les babines moussantes d'écume, on n'a guère le choix de les rayer de sa vie



Ce que je fais par la présente. Next!

22.5.03

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Me sens méchant. N'ai pas envie d'éprouver de la commisération pour les gros-culs. Surtout s'ils sont adolescents. On s'apitoie, on les soudoie, on dit qu'on veut qu'ils nous tutoient, mais leur nez est trop fort pour leur face et l'ouragan d'hormones qui les chamboule en fait des fous, des malades mentaux, temporaires pour la plupart, comme les femmes en ménopause, mais dérangés quand même, et privés de raison.

21.5.03

Mario a obtenu 67 sur 70 en théorie. Reste l'examen pratique, le 10 juillet. On devrait arriver à Sorel vers la mi-octobre.



MMF (Monsieur Mon Fils) m'a apporté 10 exemplaires de Vacuum et on a jasé avec la voix du sang. Des nerfs, aussi, mais du sang surtout. Ces temps-ci, l'un de nous forme un poing et l'autre l'enserre de ses doigts, résumant nos sentiments comprimés.



Mario est en train de repasser l'examen de conduite. On ira peut-être visiter son Sorel de légende après tout.



Doublevé l'écolo a trouvé un ingénieux moyen de préserver les forêts des incendies: les céder à l'industrie pour qu'elle les rase.

20.5.03

Retour de l'X-périence. J'ai peut-être subi une mutation depuis la dernière fois: fallait me voir engouffrer le pop corn assaisonné de Jean-Christian qui me dégoûtait tant auparavant.



Fait changer la serrure du Bunker, plutôt que de le rebaptiser Moulin.
Passé voir BL, qui attire mon attention sur le caractère sibyllin, voire franchement inquiétant de mon entrée d'hier. Ce que je voulais dire, c'est qu'il n'y aura pas de second tour au cirque de l'amour. Voilà.



Rencontré Tabra. Lui ai fourni l'explication prosaïque de mon silence en chansons. Simplement, on ne m'en demande pas. Revoilà.



Cet après-midi, mon fils m'emmène au cinéma avec sa première paye. On va voir X-Men, que je lui ai fait connaître en BD quand il était petit. Je crois qu'il veut aussi m'offrir un pantalon pour le lancement.

19.5.03

Annie, toujours une longueur en avance sur moi en matière d'internet, m'a refilé un truc pour améliorer dramatiquement mon classement Google: il s'agit d'utiliser sur ma page tous les mots-clés dissimulés dans les méta-balises (ex: Journal, journal, écrivain, auteur, site, officiel, Circius, littérature, roman, livre, Québec, Vortex, Violet, Vamp, Vautour, Valium, Sylvia, Vago, Julien, writer, books, novel). M'en vais essayer...
Fool me once, shame on you. Fool me twice, shame on me.



Il n'y aura pas de seconde fois. Je n'ai pas la foi qu'il faut pour refaire un tour de piste. C'est bien triste, mais c'est comme ça.

18.5.03

Week-end avec Annie, comme si l'année écoulée n'avait été qu'une seule longue nuit (arctique). Méchant party hier, j'en ai perdu mes clés. Bertrand a conté une joke dégueulasse et Mario s'est littéralement étouffé de rire, au point de nous effrayer. Kevin ramassait derrière Cynthia, qui s'affairait à la cuisine. Le voisin n'a pas trop regimbé.

16.5.03

Passé quatre heures avec Kevin, lui ai remis son exemplaire de Vacuum, avec une dédicace nulle (un renvoi à la prochaine page impaire, où il est déjà imprimé à jamais que le livre lui est à moitié dédié), et on débouchait pour fêter ça quand le second dédicataire, Mario, sentant la mousse froide depuis Longueuil, nous a envoyé par courriel une première mouture de swish publicitaire. S'est alors engagé le plus fantastique tango à trois, au cours duquel nous avons échangé des idées et construit sur icelles; Kevin est rentré aux Catacombes ravitailler Cynthia et nous sillonnions toujours la cité d'ordinateur en téléphone en télépathologiques cervelles, Mario, Kevin et moi, jusqu'à obtenir en quelques heures et de façon réelle exactement ce que nous concevions. C'est très rare et très exaltant, cela suppose une confiance aveugle et sourde, un abandon entier, cela génère le sentiment d'enchâsser son coeur d'enfant faible dans son corps d'homme fort, sommé par un crâne abritant trois cerveaux. La sensation est planante, un méchant fix, et déprimante ensuite, car on a entrevu ce que le monde vient très près d'être, parfois, du côté du sublime.



Hier, Fred m'a confié qu'il se réconciliait avec son violoncelle. Il le fait réparer par un luthier, il coupe ses cheveux, il vient me voir. Tous ces gens qui ont appris à jouer d'un difficile instrument dans leur enfance le rejettent un jour; certains l'embrassent à nouveau plus tard, et alors ils savent, ils savent avec certitude qu'ils sont en bonne voie de faire leur paix avec tout le reste.
Étrange, indolore et soudaine grosseur à l'aine, du côté où je charrie mon cellulaire. Mes couilles craignent le cancer et s'évertuent à me convaincre qu'elles peuvent encore se rendre utiles.



Reçu les caisses de livres. Tous s'entendent pour les déclarer magnifiques, les plus beaux que la maison ait produits. Je n'ai d'yeux que pour la couverture qui frise malgré le rabat, pourtant là pour empêcher ça.



Ce trimestre encore, suffisamment de mes chansons ont tourné à la radio pour finir de payer le loyer. Il va même en rester pour rembourser Kevin et Cynthia, qui mangent du riz depuis lundi.
Fred est arrivé avec l'éclipse. Je lui ai donné le premier exemplaire du bouquin que nous étions à corriger la dernière fois qu'il est venu. On a causé tranquillement comme autrefois. Sweet.



Il m'a régalé de l'histoire du tournage des pubs pour le porc du Québec, qu'il réalise. Lui ai parlé du projet de Domi. Hello Dolly, j'aurais fait une bonne marieuse.

15.5.03

Ce soir, éclipse totale de la lune. Une rare occasion de ne rien voir du tout, de 23:14 à 00:06.



Journée fertile. CGDR m'a emmené au palais de justice dans l'Oldsmobile de sa mère, hospitalisée après une crise cardiaque. J'ai eu du mal à trouver la bonne salle d'audience, et c'est finalement mon fils, croisé dans un corridor, qui m'a conduit à bon port. Pierre avait amené presque tout son personnel, mais quand il devint évident que la cause ne serait pas entendue ce matin, il a renvoyé tout le monde (au bureau). Je suis revenu bouffer au Bunker. Parcourant le ICI d'aujourd'hui, suis tombé sur la recension d'Origines par Michel Vézina, qui a aussi lu Vacuum sur épreuves et n'a pas eu l'heur de goûter. Sa dernière ligne (à propos d'Origines): «À lire cent fois, pluôt qu'un seul Vacuum». Ha! C'est le risque qu'on court à publier deux livres en même temps: qu'un critique encense le premier et cale le second avant même sa sortie.



Retour au palais après le lunch. Pierre venait de recevoir les premiers exemplaires de Vacuum et m'en avait apporté un. Vraiment superbe. J'étais un peu déçu parce que j'aurais aimé prolonger l'attente jusqu'à demain, tel que prévu. Le désir est tellement mieux que sa résolution.



Ce que devait aussi se dire Turgeon quand le juge-en-chef a annoncé, peu avant dix-huit heures, que la Cour rejetait son appel... Encore une de gagnée pour les quincaillers.



Mais ce gars-là, Pierre, c'est un pitbull déguisé en lévrier: il parle déjà de saisir la Cour Suprême.



J'aurai quand même appris deux nouveaux mots: potestatif et léonin, comme dans une clause potestative et léonine.

14.5.03

Mercredi saturnien.



Vendredi, les premiers exemplaires de Vacuum arrivent. L'impression que l'imprimeur a un peu salopé la couleur.



Demain matin, sept ans après la première fois, serai à nouveau du côté de Pierre Turgeon en Cour Supérieure pour la résolution de son affaire contre Réno-Dépôt. Grands dieux, remettre les pieds dans un palais de justice sans y être obligé...



Hélène se démène formidablement pour moi dans l'ombre, plus efficace à elle toute seule qu'une armada d'attachées de presse. Les vieilles amitiés sont le sel de la vie.



13.5.03

Depuis que le purin de porc a mauvaise presse, ces fumiers de fonctionnaires agro-alimentaires appellent cela du lisier. Je parie que ça pue tout autant. Ce que Shakespeare disait de la rose s'applique aussi, dans l'esprit, aux excréments du cochon.
Kevin appelle au Bunker pour réconforter Mario. «Mario? Il est parti.»



«Ah bon! qu'il dit. Et comment il prend ça?»



«Oh, réponds-je, tu connais Mario: c'est difficile à dire... »



«Bon! fait l'autre, je vais lui écrire.»



C'est une belle et bonne tribu que j'ai là.
Passé en coup de vent au lancement des Forges, au Saint-Sulpice. Ramené Mario. Il digère le refus de Triptyque.
C'est épuisant de ne rien faire. Là, il pleut à verse et je suis convoqué à la sécurité du revenu, alors faut que je vende des bouteilles pour payer l'autobus. Au retour, va me falloir un timbre pour poster ma demande de bourse, mais je n'ai plus que des bouteilles pleines. Résultat: va falloir en vider six de plus. Deux heures d'ouvrage, rien que pour ça.

12.5.03

Tous ces dommages à mes molaires, tous ces travaux de voirie qu'elles requièrent, je les dois à une petite fille qui me courait après il y a trente ans. La fuyant de reculons, j'ai pivoté sur moi-même et suis entré en violent contact avec le rétroviseur extérieur du camion paternel, me cassant une palette. Laquelle on répara, mais depuis j'hésite à m'en servir pour trancher la bidoche, préférant la broyer avec les dents de derrière. Et voilà le résultat.



Le voisin siffle et tape dans le mur chaque fois que je reçois des visites, et je m'asseois sur mes mains, je me répète comme un mantra: «Je suis un bon et doux géant, je suis un bon et doux géant, je suis un bon et doux géant (en probation)...»

11.5.03

On s'est installés côte à côte au soleil dans le parc, au milieu des familles pique-niquant et des effluves fumés des barbecues improvisés. Je lisais la bible de sa proposition télévisuelle et Dominique prenait des notes. C'était vraiment très bon et seule une fillette jouant magnifiquement du violon, puis l'arrivée de la pluie ont pu m'en distraire.

10.5.03

Visite de Kevin et Cynthia. Elle, à K: «Faut qu'on aille s'acheter du linge; au rythme où on le déchire...»

9.5.03

Bonsoir Monsieur Mistral,



J'ai bien aimé le dernier ajout à votre journal à propos de votre fils. J'ai donc décidé de partager ce petit bout de texte qui m'avait fait chaud au coeur avec ma mère. Après l'avoir lu, ma mère est revenue me voir les yeux emplis de larmes, ce qui m'a vraiment étonnée (voyez-vous, ma mère est une grande sensible, mais elle ne vous aime pas beaucoup). Je l'ai questionnée, je me demandais si elle ne s'était pas trompée de texte, puis elle m'a dit: «Ce grand plouc à chapeaux étranges a raison, il n'y a pas meilleure drogue que nos enfants.» Elle m'a fait un calin puis s'est retirée. Oui, elle a dit «plouc», j'ai pensé censurer, et puis à quoi bon...



Je tenais à partager ce moment avec vous.



Plouc. Holy Mary, mother of God. Synonyme de pedzouille: personne naïve et ignorante des usages de la ville. Si seulement c'était vrai...
Combien de fois l'opportunité de sauver la vie d'un être humain en quelques secondes nous est-elle offerte? Hélène et Bernard me font part de cette pétition électronique qui a déjà fait ses preuves par le passé. En diffuser l'adresse et en appeler à la conscience de mes lecteurs, c'est bien le moins que je puisse faire, moi qui aime dormir sur mes deux oreilles.
Cure de sommeil et plaies de lit.

7.5.03

Quotidiennement, je lis quelques journaux intimes publics, quelques weblogs (jamais pu faire la différence, qui s'estompe à mon sens d'heure en heure: le blog est-il toujours tenu d'offrir une orgie de liens vers ailleurs?). Parfois, rarement, j'écris un petit mot au diariste, mais je dois faire preuve de prudence, car cette intervention suffit souvent à changer ce qui suit. Mécanique quantique: l'observateur modifie le comportement de la particule observée du seul fait qu'il l'observe.



Les journaux des jeunes gens me font souvent passer par tout un nuancier d'émotions violentes. Je veux tout à la fois les secouer comme des pruniers et les ceindre de mes bras brûlants, les embrasser dans une puissante étreinte protectrice et leur rompre les reins. Petits crétins. Leur enseigner à ne pas se mutiler. Les retenir de se suicider. Leur indiquer des raccourcis, leur enseigner que non, Plume n'est pas un génie, ni Leloup un dieu, ni leurs parents de naïfs tyrans. Les convaincre que ça va passer, qu'ils en riront plus tard, que la vie vaut son poids de saletés.



Mais pour m'éclater vraiment, je me drogue de mon fils. Comme je l'ai toujours fait. Si on peut se geler à l'amour et à la stupéfaction, je suis un junkie heavy duty. Hier soir, je lui ai préparé un festin sans même m'en rendre compte, en sifflant, j'ai oublié de manger, tout à ma joie de le regarder engouffrer, on a jasé, jasé, je l'ai raccompagné à pied jusqu'au métro Papineau sous la pluie sans réaliser une seule seconde que j'existais, comme une mamma sicilienne dans un corps de minotaure, nul être au monde ne m'a jamais libéré du poids de ma propre importance à part lui, ni sa mère que j'ai aimée jusqu'au délire, ni la mienne qui a gouverné ce que je suis, ni mes amis fabuleux, ni Dieu.



Je suis revenu lentement, m'insinuant félin entre les gouttes chaudes, et je m'ennuyais d'Annie, je me disais: chaque heure de mai te la rappelle, et c'est ainsi pour elle aussi, et n'est-ce pas suave que vous choisissiez de ne pas vous voir alors que vous le désirez, et que vous raconterez-vous tantôt quand vous vous écrirez?

6.5.03

Nuit blanche avec Éric. À six heures, les pigeons l'empêchaient de dormir et il a mis les bouts.



Dominique a donné un coup de baguette magique et a organisé la commandite de mon lancement.

5.5.03

Monté aux Catacombes embrasser mes tourtereaux. Eddy s'y trouvait, se remettant d'un nez cassé. De Max, on est sans nouvelles depuis une semaine. Kevin travaillait sur le manuscrit de Mario et Cynthia inventait des délices à la cuisine. Suis revenu avec un sac de succulentes surprises (fromage danois mariné, caribou aux pêches, foies de morues et feuilles de basilic, quignon de baguette, une poire et un bout de gingembre, une tête d'ail, des carottes et du persil, et une mixture chaude mystérieuse à l'arôme délicat et un billet de banque plié en forme de petit bateau). La tribu avait besoin d'un peu de douceur sororale qui sent bon, et ne le savait pas.



Avant de partir, j'aperçois le réveille-matin que j'ai offert à Kevin pour son anniversaire et qui a fonctionné une semaine («On n'a plus rien pour cinq dollars, de nos jours!»). Je m'exclame: «Comment, tu l'as pas encore jeté?»



«Ben non, répond-il. Il marche.»



«Il marche? T'as suivi mon conseil et tu l'as lancé par terre, ou ta première idée qui était de le passer sous l'eau?»



«Ben, dit-il, d'abord, je l'ai lancé par terre. Sans résultat. Puis, je l'ai balancé aux ordures et, plus tard en soirée, j'ai entendu tic-tac tic-tac. Alors je l'ai repêché dans le riz et le poisson et là, finalement, je l'ai passé sous l'eau.»



Cinquante ans après, on vient de rendre publiques les transcriptions des infâmes audiences à huis-clos de Joe McCarthy. Le moment n'aurait pu être mieux choisi. Jamais depuis lors autant de parallèles n'ont pu être tracés avec sa politique de destruction de la dissidence, jamais autant que maintenant.
Powerlunch avec Turgeon, rue Prince-Arthur. On a couvert les dix points de l'agenda avant que le poulet parmigiana n'arrive sur la table.
Pas d'hier que les idéologues trafiquent la langue. Dans Les Chouans, au lendemain de la Révolution Française, Sophie Marceau en institutrice interroge ses élèves: «Et quand vous jouez aux cartes, comment appelle-t-on maintenant le roi de coeur?» Et les petits d'ânonner: «Le pouvoir exécutif de coeur!»

4.5.03

Printemps sorcier: le Mario est amoureux lui aussi. Passé en coup de vent cet après-midi, reparti aussitôt pour arriver chez lui à l'heure, l'heure de l'émission de radio de l'objet de sa flamme, laquelle l'ignore encore, mais il monte une campagne napoléonienne pour la conquérir. Sais plus quoi faire avec ces mecs. Vingt-cinq ans ou cinquante, la sève leur noie le ciboulot.
Marché jusqu'au Marché de la poésie. Ai informé Sophie que j'annulais les plans pour le lancement au Quartier-Latin et qu'on déménageait le tout aux bureaux de Trait d'union, où je serai commandité par Molson, et pas à hauteur de quatre caisses comme ce que proposait Boréale. Je ne vais pas inviter des gens et leur demander de payer leur écot.



Glorieux dimanche de mai.
Suis à lire quelque chose sur Pierre Péladeau. Bonne occasion de méditer sur les inégalités de l'existence. Ainsi, certains hommes n'ont pas de menton alors que d'autres en ont jusqu'à deux ou trois. Flagrante injustice.

3.5.03

Ma bonne belle douce Dominique est passée avant son rendez-vous avec Lili. M'a apporté de quoi boire et fumer, a acheté du chocolat pour elle-même. On a conspiré pour anéantir nos ennemis, j'ai requis son avis et on a tiré des plans et nous avons uni nos forces et c'était follement amusant malgré ma fatigue.
Passé la nuit aux Catacombes. Kevin et Cynthia m'ont réservé un délicieux accueil. Me sentais comme un grand-oncle d'Amérique de passage au vieux pays. KV était lui-même enfin, il a retrouvé son centre, je pense. Ce midi, tandis qu'il roupillait flambant nu sur son vieux lit de fer, j'ai mis une toune de Johnny Cash en sourdine, j'ai collé une bise sur la joue de Cynthia qui lavait la vaisselle en lui recommandant de la partager avec son mec, et je suis sorti dans le soleil et l'air frais par la porte de derrière.



Je me réjouis que mon ami ait trouvé son bonheur. J'ai la force de le faire. Je pense aussi qu'il n'y a plus assez de place pour moi dans son coeur et sa vie. Cette idée requiert de moi des forces supplémentaires.

2.5.03

Ce n'est pas, je suppose, demain la veille qu'on entendra le terme sur les ondes de Radio-Canada. Reste que états-unien passe lentement par osmose dans le langage et la conscience populaires. Éric Drouin, qui l'utilise de plus en plus, me racontait comment son frère, un homme d'ordinaire taciturne, s'est illuminé soudain comme un sapin de Noël en l'entendant prononcer ce mot. Une expérience qui m'est familière. Comme s'il répondait à un besoin inexprimé. Les gens comprennent tout de suite les profondes implications de cette limitation, de cette résistance, de cette reconquête d'une réalité. Ils se l'approprient avec enthousiasme, même s'il est mitigé par l'impression de transgresser, voire la crainte du ridicule. Encourageant.
Les tulipes sont sorties sous la pluie. Moi aussi.
Quelqu'un a laissé sur Graffiti, l'équivalent du Livre d'Or, un lien marrant: le texte de la toune de Renaud sur BHL et l'entartage.

1.5.03

Acheté hier un parapluie à un dollar, au grand soleil. Aujourd'hui, les conditions sont réunies pour l'essayer, mais j'ai pas trop envie d'aller dehors.